Chapitre 1

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Pour comprendre toute l'histoire, il faut remonter à un an et demi, en plein mois d'août. Un mois chaud et humide, avec des températures caniculaires. Sauf que, par miracle, après les grosses chaleurs sont arrivées les averses.

J'étais seul à la maison. J'avais le domicile familial pour moi tout seul pendant une semaine. Mes parents étaient partis dans le Sud en amoureux, et m'avaient laissé les clés de cette demeure luxueuse. Pour vous donner une idée : tous les murs sont d'un blanc immaculé, une immense baie vitrée éclaire le salon, la cuisine américaine et la salle à manger, et un escalier conduit aux chambres, avec chacune une salle de bains personnelle, et le bureau de mes parents. Une vraie maison de riches si vous préférez, avec ce qu'il faut de tableaux aux murs et d'œuvres d'art pour en mettre plein la vue aux invités dès qu'il y en a, bien que mes parents s'y connaissent autant en art que François Hollande sait diriger un pays. Vous savez ce qu'on dit : la culture, c'est comme la confiture ; moins on en a, plus on l'étale. Il y a même un piano à queue, qui prend plus la poussière qu'autre chose. Tout petit, mes parents m'ont inscrit à des cours de musique. Pas parce que j'aimais ça, simplement pour voir leurs désirs refoulés de réussite se concrétiser à travers moi. En clair, ils n'ont pas réussi à faire carrière dans ce qu'ils aimaient, c'était donc à moi de relever le niveau pour qu'ils soient fiers, et disent aux autres « c'est mon fils ! »... Enfin, surtout pour leur fierté à eux, je dirais, mon bien-être, ils s'en foutaient. Et bien que je sois devenu un vrai virtuose, à chaque fois qu'ils me demandaient de jouer, je m'arrangeais pour foirer systématiquement : je me trompe de note, j'oublie... Maintenant, j'ai la paix, et le piano ne sert presque plus à rien. Déjà de bonne heure, j'arrivais à les emmerder, et avec les années, je me suis perfectionné.

Moi, un emmerdeur ? Oui. Un connard de première, je dirais plutôt même : le premier à jouer le fils de bonne famille bien sous tout rapport, lisse et rien à se reprocher, mais pas le dernier à faire les conneries les plus inavouables, du petit rail de coke à un petit coup vite fait dans les toilettes d'un restaurant ou du lycée, en passant par les remarques acerbes et blessantes envers tout le monde... Et encore, j'en oublie au passage.

Vous n'imaginiez pas de ça de moi, n'est-ce pas ? Autant vous y faire : j'étais une véritable enflure, et ça a commencé de bonne heure. Est-ce dû au fait que j'ai grandi avec une cuillère en argent dans la bouche ? Que j'étais pourri gâté, mais jamais satisfait ? Que mes parents m'imposaient leurs envies, et se foutaient éperdument des miennes ? Peut-être bien, je n'ai pas encore pris le temps de me pencher sur le sujet. J'adorais faire mes coups en douce, me taper tout ce qui bougeait, essayer tout ce qui pouvait être sniffé... Je repoussais toujours les limites, et ça, sans aucune once de remord. De là à dire que j'avais des tendances sociopathes... Je dirais que oui. Voilà le genre de personne que j'étais quand j'ai mis les pieds dans un engrenage dont j'ai eu du mal à me sortir : un connard prétentieux et imbu de lui-même.

Pour revenir à cette fameuse journée... Vous voyez le cliché de l'ado vautré dans le canapé à regarder la télé quand ses parents sont absents ? Voilà. Sauf qu'il est 16h30, que je suis encore en calbut, la clope au bec, à regarder des dessins animés, avec le bruit de la pluie qui tombe sur le toit en fond sonore... L'ado flemmard dans toute sa splendeur. Essayez d'imaginer un grand gaillard qui fait 1m85, les cheveux châtains et une barbe de quelques jours, du poil assorti sur la poitrine, encore en sous-vêtements en plein milieu de l'après-midi, collé devant Martin Mystère... C'est digne d'un des plus gros clichés des comédies potaches américaines.

Mais franchement... Quel adolescent normalement constitué n'y a pas pensé un jour ?

Tout ça pour dire qu'au moment où ma vie a basculé, j'étais l'exemple typique de la parfaite feignasse. Et je serai bien resté plus longtemps comme ça, si on ne sonnait pas avec insistance à la porte. Et vu le temps qu'il faisait dehors, ça ne devait pas être des témoins de Jéhovah. J'enfile donc rapidement un peignoir, et sur quoi je tombe quand j'ouvre la porte ?... Un putain de beau mec. Et je n'exagère vraiment pas : dans la trentaine, brun, les tempes légèrement grisonnantes, les yeux marrons... Et par dessus le marché, trempé de la tête aux pieds, me laissant l'occasion d'admirer furtivement ses magnifiques pectoraux et tablettes de chocolat sous son T-shirt humide. Désolé de vous faire saliver à ce point, mais comme je me suis bien rincé l'œil, autant vous en faire profiter.

- Bonjour. Euh... Ma voiture est tombée en panne juste en face de chez vous, et je n'ai plus de batterie, est-ce que je peux emprunter votre téléphone ?

Cliché ? Encore un ? Oui. J'y ai pensé aussi. Mais certains existent.

- Je vous en prie.

- Merci.

En même temps, vu qu'il ruisselait de partout, je n'allais pas le laisser dehors. J'ai beau être un salaud, j'ai aussi une âme charitable... Ou des idées derrière la tête, peut-être. Le temps qu'il compose le numéro, je vais m'habiller. Je n'allais quand même pas rester à moitié à poil alors qu'il y a quelqu'un. Et ça m'étonnerait qu'il cambriole la maison. J'enfile rapidement un débardeur et un jean, et prends une serviette au passage.

- Tenez, lui dis-je en lui tendant.

- Merci, répond-il en s'essuyant les cheveux. Vous ne savez pas s'il y a un hôtel dans le coin ?

- Il y a un problème ?

- Ben... Le garagiste ne peut pas venir avant demain après-midi, les routes sont bloquées à cause des inondations, et... ça fait à peine une semaine que j'ai emménagé ici, je ne connais pas bien le coin et...

- Vous voulez dormir ici ? (Qu'est-ce qui m'a pris de dire ça ?)

- Vous êtes sûr ?

- Oui. Mes parents rentrent dans quatre jours, et ils auraient fait pareil à ma place (Ça, ce n'est pas certain). Et puis... Vu que dehors, c'est le déluge, c'est peut-être mieux, vu que vous êtes trempés jusqu'aux os, et que vous ne devez pas avoir de vêtements de rechange.

- Bien vu. Merci.

- Je vous en prie. Je vais vous chercher des vêtements propres.

Il est clair qu'en lui proposant de rester, j'espérais bien aller plus loin. Quoi ? Vous auriez fait quoi à ma place ? Ne me dites pas que si vous aviez vu une créature de rêve sur le pas de porte, homme ou femme, qui vous demande de l'aide, vous n'auriez pas tenté quelque chose ?

- Tenez, on doit faire à peu près la même taille. Vous voulez un café ?

- Je veux bien. Euh... Où est-ce que je peux me changer ?

- Faites-le dans le salon, ça ne me gêne pas.

Bon, j'avoue : j'ai dit ça surtout pour le mater. L'avantage d'avoir une cuisine américaine qui communique avec le salon et la salle à manger, c'est qu'on peut avoir une vue d'ensemble sur la maison, idée de mes parents quand ils reçoivent du monde. Et le peu que je voyais du salon à ce moment-là me donnait des frissons à l'entrejambe. Sérieux, je n'avais jamais vu un mec aussi bien foutu : des muscles saillants, huit abdos (oui, j'ai bien dis huit, le fameux 8 pack) parfaitement dessinés, et un petit cul qui de loin, avait l'air très ferme. Rien qu'en y repensant, ça me fait le même effet qu'à l'époque. Autant vous dire qu'à ce moment-là, j'avais bien envie de lui sauter dessus.

- Tenez, lui dis-je en lui tendant le café. Ça va vous faire du bien.

- Je ne sais pas comment vous remercier, vraiment.

J'avais bien une petite idée, moi. Mais j'ai préféré y aller doucement. On a donc passé la soirée ensemble, à dîner tranquillement devant la télé, à discuter de tout et de rien. J'ai donc appris qu'il s'appelait Benoît, qu'il avait été muté ici pour son boulot, et qu'il ne connaissait personne en ville. Plus je l'écoutais, plus j'avais envie de le renverser sur la table basse, de l'embrasser goulûment, de lui dégrafer son jean et de lui faire sa fête. Est-ce que ça s'est fait au final ? Navré de vous décevoir, mais non. Même si j'en avais envie, rien ne me disait que lui aussi, et qu'il était de ce bord-là, même si ça n'aurait pas été le premier hétéro que je convertissais. J'ai donc préféré ne pas prendre de risque, et on a dormi chacun de notre côté, lui dans la chambre d'ami, moi dans la mienne, à m'astiquer le manche sous la couette. Comme quoi, j'ai beau un être un vrai queutard, je sais refréner mes pulsions quand il le faut.

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