Chapitre 17

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Mois de Juillet.

Un mois après le bac.

Un mois que j'ai enfin l'esprit tranquille.

Le proviseur n'a pas été le seul à être mis au courant de la vérité... Mes parents l'ont été aussi. Bon, ils ont eu la réaction de parents normaux, à savoir « pourquoi tu ne nous l'a pas dit ? » ou « ça explique bien des choses », et bla bla bla, et j'en passe et des meilleures. Un des pires savons de ma vie. Mais je l'avais amplement mérité. Ils ont même voulu porter plainte contre Benoît, et j'ai eu un mal fou à les en dissuader. Je n'en voyais pas l'intérêt. Oui, jusqu'au bout, j'ai été un chieur.

Aux dernières nouvelles, ma visite chez le proviseur avait eu l'effet escompté : il n'a pas cherché à nier les faits. Il a par la suite été renvoyé, et au passage radié de l'Éducation Nationale. Les autres profs ont été choqués de la nouvelle tellement il était apprécié, mais le rapport stipulait « comportement inconvenant envers un élève ». Pas une seule fois, mon nom n'était cité. Juste une déclaration. La discrétion a été de mise ; en même temps, ce n'est pas le genre d'affaires qu'on a envie d'ébruiter. Ça m'a rassuré, d'un côté. Ce qui l'a moins été, c'est que, malgré mon refus de porter plainte, mes parents ont demandé une ordonnance restrictive contre lui. Dans la fiction, ça sert peut être à quelque chose, mais dans le réel, on sait très bien ce que ça donne. Mais je savais que même sans ça, il me foutrait la paix. Il savait qu'il avait été trop loin. Je ne voulais pas porter plainte parce que pour moi, cette affaire était réglée. Fin de la discussion. Je voulais tourner la page.

J'étais tranquillement installé sur le canapé. Je venais de me lever, et je sirotais mon café devant des dessins animés. Oui, on ne change pas les bonnes habitudes. Ah si, il y a un truc qui a changé : j'ai des lunettes, maintenant. Quand je vous disais que j'avais un problème de vue, j'avais mis dans le mille : je suis myope et hypermétrope à la fois. C'est assez paradoxal, vu que j'ai un œil qui voit de près, et l'autre qui voit de loin. Je ne suis décidément pas comme tout le monde.

On venait de sonner à la porte. C'était Alex.

- Ça te va bien, ces nouveaux yeux, me dit-il en entrant.

- Oui, tu n'as plus le monopole du geek maintenant, plaisantai-je.

- Je te sers un café ?

- Volontiers, oui, merci.

Je crois que j'ai déteint sur lui : débardeur, short et chaussures tendances. Il ne manque plus que les Ray-Ban.

- Alors, ça te fait quoi d'avoir le bac ? lui demandai-je.

- Tu veux dire, à part le fait que mes parents n'ont plus leur mot à dire sur ce que je veux faire ?

Enfin il s'émancipe. Il ne me l'avait pas dit, mais il avait passé un deal avec ses parents : s'il avait son bac, il lui laissait faire les études qu'il voulait. Bon, ils ont essayé de l'en empêcher, mais il a tenu bon. Résultat : il va faire ce qu'il aime dans une des écoles les plus prestigieuses du pays. Ça a dû coûter cher, mine de rien, je comprends que ses parents aient tiré la tronche. Mais je suis fier de lui.

- Et toi ? Tu n'as pas trop peur de changer de pays ? me demanda-t-il.

- Si. Mais avec l'année de merde que j'ai eu, ça me fera du bien de changer d'air. Ça ne m'empêchera pas de revenir t'emmerder pendant les vacances, cela dit.

- J'espère bien, lâcha-t-il en avalant une gorgée de café.

Il n'y avait qu'une seule ombre au tableau.

- Tu as des nouvelles de Sarah ?

- Elle va entamer des études pour devenir bibliothécaire sur Paris.

- ... Je suis content pour elle.

- Laisse-lui le temps, ça va s'arranger.

- Non, ce n'est rien. Elle a le droit de passer à autre chose, et moi aussi. Quoi ? ajoutai-je en remarquant Alex qui m'observait pensivement.

- Tu as bien changé, quand même.

- Pourquoi tu dis ça ?

- Tu n'aurais pas tenu ce genre de discours il y a un an.

C'est vrai, oui.

- Ah, au fait, j'ai ce que tu m'as demandé, me dit-il en sortant une feuille d'une chemise qu'il avait avec lui.

- Fais voir.

- Tes parents sont d'accord, au fait ?

- Qu'est-ce qu'il ne ferait pas pour le bien-être de leur fils, ironisai-je.

Sauf que là, ils allaient casquer. Je lui avais demandé de me dessiner un tatouage. Pas un petit, mais un qui fasse la taille de mon dos. Un qui me représente vraiment. Et au premier coup d'œil, j'étais satisfait. J'en avais les larmes aux yeux. J'allais douiller, ça, c'est clair, vu la taille... Mais ça me correspondait parfaitement.

- Alors ? me demanda-t-il.

- Nickel.

Je l'ai alors pris dans mes bras. Je n'avais plus envie de le lâcher.

- Je t'aime, Alex.

- Moi aussi, je t'aime, mais si tu continues à me broyer la cage thoracique, je crois que ça ne va pas le faire.

- Excuse-moi, lui dis-je en relâchant mon étreinte.

- Ça ne va pas me manquer, ça, c'est clair, dit-il en se frottant les côtes.

- Tu veux rester à la maison aujourd'hui ? Je suis tout seul.

- Je ne peux pas, j'ai un rencard.

- Petit veinard, va, lâchai-je avec un sourire.

- Ce soir, en revanche, ça peut aller ?

- Oui, je ferai la cuisine en plus.

- Raison de plus, tu es un vrai cordon bleu. (Oui, ça aussi, je suis doué)

- Bon, je vais te laisser, il faut que j'aille me préparer, me dit-il en prenant la direction de l'entrée.

- Tu me raconteras tout ce soir ?

- Pas de problème, salut, à ce soir, me lança-t-il en renfermant la porte derrière moi.

Je suis resté un bon moment accoudé au comptoir de la cuisine, mon café à la main, et le dessin d'Alex dans l'autre. Il va me manquer, ce petit con. Mais j'en ai marre de ce coin. Je le connais en long, en large et en travers. J'en ai fait tout le tour, je connais tout le monde, et avec ce qui s'est passé, j'ai besoin de tout redémarrer à zéro. J'ai besoin de changer d'air, de me faire de nouveaux potes, de penser à moi, de me recentrer.

C'est pour ça que je vous ai raconté mon histoire. Pour que vous sachiez que le comportement qui a été le mien, et qui pourrait devenir le vôtre un jour dans ce genre de situation, n'est pas toujours le meilleur choix qu'on puisse faire. J'ai fait des erreurs. Elles ne m'ont pas été fatales, mais elles m'ont bien abîmé. Et je morfle encore, même si je dis à tout le monde que je vais bien. Si j'avais pu faire autrement, je l'aurais fait. Mais mon orgueil a eu le dernier mot, et moi, Alex et vous-mêmes en avez vu les conséquences. Physiquement, ça va. Mais mentalement, et émotionnellement, il va falloir un certain temps avec que je cicatrise complètement. Mais je dois avancer, malgré tout.

Il n'est jamais trop tard pour prendre enfin les bonnes décisions, et pour comprendre que vous pouvez toujours compter sur quelqu'un qui peut vous aider à vous en sortir. On n'en sort pas indemne, ça, c'est sûr. Mais on est encore là, que ce soit pour nous-mêmes ou pour les autres. Il y aura toujours des personnes qui tiennent à vous, même si elles ne vous le montrent pas, et même si vous êtes un vrai connard.

Et ça... Ça vaut toutes les richesses du monde.


Je dois vous laisser. Alex sonne à la porte, et je n'ai toujours pas fait à manger. Je n'ai pas fini de me faire chambrer.


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