Chapitre 16

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Les escaliers me semblaient interminables. Ma respiration s'accélérait. J'ai du m'arrêter dans le hall désert pour me calmer et reboutonner mon jean. J'étais seul, tremblant de partout. L'administration était à deux pas. J'ouvris la porte, et toquait à celle du proviseur.

- Entrez.

Je tenais à la poignée pour ne pas trembler.

- Monsieur Delorme ? Vous ne devriez pas être à une épreuve ? me demanda-t-il en se levant pour me saluer.

- J'ai fini en avance. Il faut que je vous parle, c'est urgent.

Il me proposa de m'asseoir, inquiet. J'avais un poids énorme sur la poitrine et mon bras me faisait encore mal.

- Vous... Vous vous souvenez, en automne dernier, quand une rumeur a circulé à mon sujet, sur moi et mon professeur principal ?

- Oui, bien sûr, vous avez eu du bol, d'ailleurs.

- ... Ce n'était pas une rumeur.

Il me fixa, étonné. Je ne pouvais plus faire machine arrière.

- Je vous demande pardon ?

- C'était l'été dernier, avant la rentrée. Je ne savais pas qu'il enseignerait dans ce lycée, et encore moins qu'il serait en charge de ma classe.

- Est-ce que... il y a eu autre chose entre vous deux ? Je veux dire...

- Non. Enfin, si, mais...

J'ai pris une profonde inspiration.

- On se tournait autour, plutôt. On ne savait pas si on devait continuer ou pas. Et puis il y a eu cette histoire de rumeur, et... je l'ai embrassé pour le remercier d'avoir fait quelque chose pour moi. C'était un petit baiser, rien de plus.

- S'il n'y a eu que ça...

- Sauf qu'il y a eu autre chose. A l'instant, dans les toilettes. Et qui a dégénéré, vu les circonstances.

Je fixais le sol. J'aurais été plus à l'aise six pieds sous terre.

- Quelles circonstances ?

J'avais une boule dans la gorge à la simple idée d'évoquer ça.

- ... Il y a de ça quelques mois, je sortais avec une fille du lycée. Et... Il l'a très mal digéré. Au point de lui mettre sciemment des mauvaises notes. Sans lire ses devoirs.

J'ai levé la tête : il me regardait, ses mains joints devant son visage. Ce calme apparent me rendait dingue.

- Continuez.

- Quand j'ai essayé d'arranger les choses, il m'a fait du chantage, en me disant que... Je n'oserai pas dire ce qu'il y avait eu entre nous, de peur de détruire ma réputation et la sienne.

- C'est vrai ?

- Oui, acquiesçai-je en me pinçant la lèvre. Je... J'ai rompu avec ma copine, parce que je ne voyais pas d'autre solution à ce moment-là.

- C'était quand, tout ça ?

- Au mois de février. C'était calme, jusque là, et... Quand je suis sorti de mon épreuve tout à l'heure, je suis allé aux toilettes. Je l'ai croisé là-bas, et... J'ai cédé à ses avances à peine quelques secondes. Sauf qu'au moment où je l'ai repoussé, il... il a commencé à devenir violent.

- Je ne vois pas de traces de violence, pourtant.

J'ai rebaissé la tête. Et ça a suffi.

- Il vous a... agressé... sexuellement, vous voulez dire ?

- Si la porte d'une cabine n'avait pas cédé à ce moment-là, ça aurait pu, oui.

- Où est-il ?

- Il s'est assommé, j'en ai profité pour m'enfuir.

J'avais les yeux qui devenaient humides.

- J'apprécie que vous soyez venu me voir pour me dire tout ça, ça n'a pas dû être facile, me dit-il calmement, en se redressant sur son fauteuil.

- Oui, en effet, c'est l'horreur, répondit-je en reniflant.

- C'est des accusations graves que vous portez, j'espère que vous en avez conscience.

- Je sais.

- Malheureusement, sans preuves, je ne peux rien faire. C'est sa parole contre la vôtre.

Sauf que j'en avais une : l'enregistrement de notre conversation du mois de février.

Avant, quand je n'avais aucun sens moral, je procédais toujours comme ça, dès que j'avais un « rencard » avec quelqu'un : je laissais la reconnaissance vocale de mon portable se déclencher toute seule pour qu'il puisse enregistrer la conversation. Quand je vous disais que j'avais des moyens de pression sur plusieurs personnes dans ce bahut, c'est de ça que je parlais. Ça m'était déjà arrivé de menacer de révéler la vérité à quelqu'un, et quand il me sortait que je n'avais aucune preuve, je lui faisais écouter. C'était très efficace.

Au mois de février, ce vieux réflexe de sociopathe m'est revenu. Sauf ça ne s'était pas passé comme prévu, et j'avais complètement zappé que j'avais cet enregistrement. C'est quand j'ai checké mon portable après qu'Alex se soit endormi que je me le suis rappelé. C'est vrai que j'aurai pu l'utiliser avant, mais... J'avais provoqué des catastrophes que je ne pensais ne pas pouvoir réparer, j'étais au plus bas. Je l'avais oublié... Jusqu'à ce moment-là.

Le proviseur semblait pensif après avoir écouté l'enregistrement.

- Je comptais l'effacer, vu que ça allait mieux. Enfin... Du moins, je le croyais.

- ... Je vous remercie d'être venu me voir, me dit-il en se levant de sa chaise.

- Je suis désolé, j'aurais dû venir avant.

- Ne vous excusez pas, ajouta-t-il en me raccompagnant. Mieux vaut tard que jamais, surtout dans des circonstances comme celle-là.

Au moment où il ouvrit la porte, Benoît rentra dans les bureaux de l'administration. Il se tenait l'arrière de la tête et semblait souffrir. Quand il m'a vu sortir, il se figea, le visage blême.

- Allez-y, je m'en occupe, me dit-il le proviseur.

Je suis passé à côté de lui sans un regard. La sonnerie retentit au moment où je franchissais la porte d'entrée.


C'était fini.


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