XVII

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Alessandra

Les éclats de la veille tournaient dans ma tête comme une tempête. Je me souvenais de chaque mot, de chaque regard échangé avec Livia. Sa voix, ses aveux, tout était gravé en moi, trop vif, trop intense pour être effacé. Elle m'avait révélé l'impensable, n'avait rien caché, et pourtant, tout en elle me paraissait si irréel, si tranchant. La rage et la trahison se mêlaient, formant une boule incandescente au fond de mon estomac. J'avais besoin de relâcher cette tension, de trouver un exutoire, de faire sortir cette douleur autrement.

Sans même y réfléchir, mes pas me menèrent jusqu'à un bar où je savais pouvoir m'isoler avec un instrument. En arrivant, je me dirigeai vers la batterie, et, à peine les baguettes en main, je frappai les peaux tendues avec une force qui dépassait le simple besoin de jouer. Je voulais extraire la souffrance de chaque coup porté, sentir chaque vibration effacer un peu de cette douleur qui ne cessait de me ronger.

À chaque battement, je frappais plus fort, cherchant une échappatoire, une façon d'étouffer les pensées envahissantes. Mais, malgré moi, un souvenir s'infiltra, venant perturber mon rythme. C'était son visage, le regard de Livia posé sur moi, intense et vibrant, lors de l'une de nos dernières nuits ensemble. Ce regard, que j'avais pris pour de l'admiration, pour un amour sincère, semblait encore là, présent, comme une ombre qui se refusait à disparaître.

Ma main faiblit un instant, manquant de lâcher une baguette, avant de reprendre avec plus de force encore. Ce souvenir ne voulait pas s'éteindre, comme une blessure ouverte que je ne pouvais ignorer. Au final, la musique ne suffisait pas, elle n'avait jamais suffi pour noyer ce que je ressentais pour elle, ce lien qui, malgré tout, semblait impossible à défaire.

Après la session, je laissai les baguettes retomber avec lassitude, la gorge nouée, et me dirigeai vers le comptoir. Assise sur un tabouret, je commandai un verre pour calmer la tempête qui continuait de gronder en moi. À cet instant, le serveur s'approcha, tendant un petit pli avec un regard indéchiffrable. Sans un mot, il glissa le billet dans ma main, puis disparut.

Je le dépliai lentement, une étrange appréhension me saisissant. "J'avais oublié à quel point il était apaisant de te voir jouer." Les mots simples, sans aucune signature, semblaient pourtant chargés de souvenirs. Un frisson me parcourut, et je me surpris à imaginer que Livia était peut-être là, quelque part, cachée dans l'ombre, à m'observer comme elle l'avait fait autrefois. Cette pensée, aussi troublante que douce, me ramena un instant à nos moments partagés, à ces regards complices, à cette proximité que nous avions eue. Le message n'avait rien d'accusateur ni de provocant, c'était un murmure, presque une caresse, réveillant en moi une nostalgie que j'aurais voulu étouffer.

Lorsque je rentrai chez moi, l'air frais de la nuit semblait encore me coller à la peau, ajoutant une touche de gravité à l'épuisement qui me gagnait. En poussant la porte, je trouvai Mila assise sur le canapé, plongée dans ses pensées, mais elle releva les yeux dès qu'elle m'aperçut. Un mélange d'inquiétude et de tendresse traversa son regard, une expression que je connaissais bien et qui m'était presque réconfortante. Depuis que nous avions repris notre relation, elle avait cette présence rassurante, ce soutien sans jugement que je pouvais retrouver, même dans mes moments les plus sombres.

Elle s'approcha de moi, posant une main douce sur mon bras, comme pour m'ancrer dans le présent. Ses doigts glissèrent lentement, sa chaleur me rappelant ces jours où nous avions partagé bien plus qu'une simple complicité.

— Ale... souffla-t-elle doucement, ses yeux cherchant les miens. Tu as l'air... épuisée. Tu veux m'en parler ?

Je restai silencieuse un instant, me laissant happer par la bienveillance de son regard. Parler semblait à la fois tentant et impossible ; tout ce que j'avais vécu hier soir s'entrechoquait encore dans ma tête, et même si Mila n'en connaissait pas les détails, elle ressentait cette tension en moi. La présence de Livia était encore là, en filigrane, pourtant, je ne pouvais nier le réconfort que Mila m'apportait. Je savais que si je lui demandais de m'oublier ce soir, elle serait là sans poser de questions.

Entre deux viesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant