Entre deux vies

XVIII

Alessandra

Quand je suis entrée en classe, mes yeux ont immédiatement cherché Livia, presque par réflexe. Elle était là, assise à son bureau, ses traits tirés par une fatigue évidente. Je la trouvais abîmée, marquée par la nuit. Ses yeux, cerclés d'ombres, semblaient perdus quelque part entre le remords et la honte. Et pourtant elle restait magnifique. Magnétique. Sa présence remplissait toujours autant l'espace, comme une tempête que personne ne pouvait ignorer.

J'ai pris une profonde inspiration, essayant de dissiper le frisson qui me parcourait. « Ne te laisse pas berner, Ale », me murmurais-je intérieurement.  Et au fond de moi, je ne savais plus ce qui était le plus insupportable : la trahison de Livia ou le fait que je ne pouvais pas m'empêcher de ressentir quelque chose pour elle, même dans cet état.

Elle commença à parler du thème du jour, sa voix basse et éraillée captant immédiatement l'attention de toute la classe. Elle expliquait la complexité des dilemmes moraux, des choix qui changent irrémédiablement le cours d'une vie. Sa voix vacillait légèrement, trahissant une émotion qu'elle tentait visiblement de dissimuler.

— Parfois, dit-elle en balayant la classe du regard, on se retrouve confronté à des choix qui, dans l'instant, semblent nous protéger... mais qui finissent par détruire ce qu'on chérissait le plus.

Son regard se posa un instant sur moi, et je sentis mon cœur se serrer. Je ne pus m'empêcher de répliquer, le ton glacé.

— Protéger ? On protège les autres, pas soi-même. Ceux qui disent agir pour se protéger se contentent souvent de se dissimuler derrière un mensonge pour justifier leur propre égoïsme.

Un silence tendu s'installa dans la salle. Les étudiants autour de nous observaient la scène, mal à l'aise, conscients que cet échange n'avait rien de théorique.

Livia serra légèrement les lèvres, hésitant une seconde, mais elle répondit, la voix contrôlée :

— Quelquefois, l'égoïsme est la seule chose qui nous reste quand tout s'effondre, répondit-elle d'une voix douce mais ferme. 

Un sourire moqueur se dessina sur mes lèvres.

— Tu appelles ça "se battre" ? Tu parles d'une lutte quand tu t'es contentée de mentir et de fuir. 

— Tu sais, continuai-je d'un ton détaché, certains se disent prêts à tout pour les autres, mais au premier obstacle, ils courent se cacher. Et puis ils se posent en victimes. Risible, non ?

Elle soutint mon regard cette fois, une lueur de défi se dessinant dans ses yeux fatigués.

—  Toi, tu n'as jamais eu peur, pas vrai ? Tu sais toujours faire face sans flancher.

La lueur de son regard me déstabilisa un instant, mais je n'étais pas prête à lâcher prise.

— Peut-être parce que je ne me suis pas inventé des excuses pour ce que j'ai fait, répondis-je, glaciale. Toi, en revanche, tu t'es cachée derrière cette... façade de femme forte. Mais au fond, tu n'es qu'une lâche.

Elle serra les poings, mais n'esquissa aucun geste pour me répondre, laissant mes mots flotter dans l'air tendu de la salle. L Pourtant, malgré sa retenue apparente, je percevais la douleur dans son regard, comme une fissure dans son masque.

Finalement, elle se racla la gorge, et je vis sa main trembler légèrement en posant ses notes. Elle déglutit, puis lança d'une voix plus tremblante que d'habitude :

— Le cours est terminé pour aujourd'hui. Nous reprendrons la semaine prochaine.

Un murmure parcourut la classe. Les étudiants échangèrent des regards, confus, et je sentis leurs yeux se tourner vers moi, pesants, intrusifs. Je m'efforçai de garder mon calme et me levai en rassemblant mes affaires, tâchant d'ignorer les murmures.