Le maître des ombres

Chapitre 4 : L'ombre qui murmure

Le matin se levait sur le manoir des Hastings, niché au sommet d'une colline verdoyante. La façade de marbre blanc, imposante et froide, trônait comme une sentinelle au-dessus de la ville. Derrière les fenêtres ornées de lourdes draperies de soie, un silence inquiétant régnait, seulement interrompu par le léger froissement des pages que Lydia feuilletait nerveusement.

Elle était assise dans le vaste salon privé, entourée de meubles d'époque et de tableaux de maîtres, son regard fixe et déterminé rivé sur son téléphone. La pièce, d'ordinaire apaisante avec ses fauteuils en velours et ses tapis épais, semblait aujourd'hui lui rappeler sa vulnérabilité, comme si les murs de ce sanctuaire s'étaient retournés contre elle.

Elle tenait son téléphone d'une main crispée, les mots du message reçu la veille flottant encore dans son esprit : "Je sais ce que vous avez fait. Vous paierez bientôt pour vos actes ! - Ghost"

Le poids de cette menace la hantait. Lydia, habituée à diriger les autres, à manipuler les situations en sa faveur, se sentait piégée dans un filet d'incertitude. Elle resserra les doigts sur la délicate tasse de porcelaine qu'elle tenait, ses ongles parfaitement manucurés contrastant avec l'agitation intérieure qui la dévorait. Elle savait que rien n'arrivait par hasard, surtout pas cette menace et cet homme ivre qui l'avait publiquement humiliée au gala des Archibald. La coïncidence était trop grande.

Son esprit calculateur n'avait cessé de tourner toute la nuit, échafaudant des hypothèses et envisageant des solutions. Ses pensées s'arrêtaient toujours sur cet homme ivre. Grand, hirsute, ses yeux enflammés de colère et ses paroles crachées avec un mépris ouvert : "Vous pensez que vous pouvez continuer à manipuler tout le monde sans conséquence ?"

Le souvenir de cet affront public était insupportable. Lydia sentit une vague de fureur monter en elle, une émotion qu'elle ne laissait que rarement transparaître. Elle se redressa, déterminée. Elle n'allait pas se laisser intimider par un ivrogne sans contrôle, mais si cet homme était lié à Ghost, alors elle se devait de savoir qui il était et ce qu'il voulait.

Elle se leva d'un pas décidé et, laissant son thé refroidir sur la table basse, s'avança vers le bureau en acajou massif de son bureau personnel. L'ébène lustrée du bureau et les reliures dorées des livres de droit qui s'y entassaient renvoyaient une image d'autorité. Elle déverrouilla un tiroir secret et en sortit une carte de visite qu'elle tenait en réserve depuis longtemps : celle de Victor Hale, un détective privé discret et efficace, réputé pour ses méthodes peu conventionnelles mais infaillibles. Elle composa le numéro inscrit en lettres fines sur la carte.

Après quelques tonalités, une voix grave et professionnelle répondit.

"Victor Hale à l'appareil."

Lydia inspira doucement pour s'assurer que sa voix ne trahissait aucune faiblesse. "Monsieur Hale, ici Lydia Hastings. J'ai besoin de vos services. De toute urgence."

Une légère pause suivit, puis Hale reprit. "Dites-moi en quoi je peux vous être utile."

"Hier soir, un homme a fait une scène au gala des Archibald, m'accusant publiquement de corruption," répondit-elle, pesant chaque mot. "Je suis convaincue que ce n'est pas une simple coïncidence. Je veux que vous trouviez tout ce qu'il y a à savoir sur cet individu. Suivez-le. Observez-le. Et dites-moi qui l'a envoyé."

La voix d'Hale resta calme, mais une pointe d'intérêt transparaissait. "Compris. Des détails physiques pour que je le repère ?"

Lydia se remémora l'homme, son allure négligée, ses cheveux ébouriffés, et cette aura de rancœur qu'il dégageait. "Il est grand, bâti comme un ancien athlète, mais il a l'air... épuisé. Ses vêtements étaient froissés, il tenait un verre à la main, et il semblait animé par une colère démesurée. Trouvez-le, et dites-moi tout ce que vous pourrez découvrir sur lui."

"Je vous enverrai un rapport dès que j'aurai des informations," répondit Hale avant de raccrocher.

Lydia reposa le téléphone, mais une étrange sensation persistait. Malgré la certitude qu'elle essayait de maintenir, une part d'elle doutait. Et si cet homme ivre n'était qu'un pion dans un jeu plus grand ? Ghost pouvait être n'importe qui, et la crainte qu'il soit plus proche d'elle qu'elle ne le soupçonnait éveillait un malaise sourd en elle. Mais ce doute ne changeait rien à ses plans. Elle n'avait pas l'habitude de se laisser déstabiliser. Elle trouverait Ghost, même si cela signifiait d'abord mettre la main sur cet homme ivre pour le briser lui aussi.

Les ombres de son manoir, éclairées par la lumière douce du matin, semblaient s'étirer autour d'elle. Le silence oppressant de cette demeure devenue étrangement hostile pesait lourdement. Le pouvoir de Lydia Hastings n'avait jamais été contesté, et elle n'allait pas laisser un intrus gâcher des années de maîtrise.