Le maître des ombres

Chapitre 6 : Les ombres du passés

Effie Williams conservait des souvenirs intacts de son enfance, des fragments cristallisés qui, bien que lointains, lui paraissaient encore douloureusement présents. Son père, Mike Williams, était un homme entier, de ceux que la vie façonnait avec rudesse et intégrité. Il lui avait enseigné, par son exemple, le poids et l'importance de la vérité. Un enseignement qui, au fil des années, deviendrait son unique raison de vivre.

Mike Williams, dans sa quarantaine avancée, portait sur lui les marques d'une vie passée à explorer les coins sombres de la société. Grand, aux épaules larges et à la carrure imposante, il ne passait jamais inaperçu. Ses cheveux noirs, parsemés de mèches grisonnantes, étaient souvent en désordre, comme s'il n'avait jamais vraiment pris le temps de se coiffer avant de se plonger dans ses enquêtes. Ses yeux verts, profonds et perçants, révélaient une intelligence vive et une insatiable curiosité. Malgré son apparence parfois austère, il avait un sourire chaleureux et une voix posée qui inspiraient confiance et respect. Aux côtés de Mike, on se sentait en sécurité, porté par sa force tranquille.

Effie, qui avait à peine cinq ans lorsqu'elle perdit sa mère Elizabeth, n'avait jamais réellement ressenti le manque de présence maternelle grâce à la dévotion de Mike. Elizabeth avait été emportée par une maladie foudroyante, laissant Mike seul pour élever leur petite fille. Ce fut un tournant pour lui, mais il prit son rôle de père avec une abnégation exemplaire. Malgré les pressions d'un métier exigeant et la fatigue de ses longues journées, il veillait à entourer Effie de tout l'amour et le soutien dont elle avait besoin.

Effie aimait passer du temps dans le bureau de son père, une pièce au désordre organisé, remplie de dossiers ouverts, de carnets annotés et de journaux empilés. L'odeur de papier jauni et d'encre usée flottait dans l'air, mélange singulier qui la rassurait. Elle se sentait privilégiée d'être là, d'observer Mike en plein travail, fascinée par son monde de mots et de révélations.

— Papa, pourquoi tu passes toujours ton temps à parler des méchants ? lui demanda-t-elle un jour, curieuse.

Mike la regarda avec un sourire fatigué mais affectueux. — Parce que quelqu'un doit bien le faire, ma chérie. La vérité est un poids que peu de gens veulent porter. Si personne ne la montre, le monde ne changera jamais.

Ce bureau était un sanctuaire pour Effie, un espace où elle se sentait précieuse, utile. Adolescente, elle rêvait de suivre les pas de son père, de devenir journaliste pour dénoncer les injustices. Elle se sentait si proche de lui, comme si un fil invisible les reliait, les unissait dans ce combat silencieux pour la vérité.

Au fil des ans, Effie devint une jeune fille vive et ambitieuse, passionnée par la justice et dotée d'une intelligence aiguisée. Elle avait hérité de ses yeux bleus perçants de sa mère, des yeux qui semblaient scruter l'âme de ceux qui croisaient son regard, et de Mike, elle tenait son sérieux et sa ténacité. Ses longs cheveux bruns étaient souvent attachés en une queue de cheval pratique qui lui dégageait le visage, mettant en valeur ses traits déterminés.

Mais tandis qu'elle grandissait, Mike devenait plus sombre. Effie, alors âgée de quinze ans, le remarqua, et cela l'inquiéta. Son père semblait porter un fardeau invisible, quelque chose qui le rongeait.

— Papa, tu viens voir mon spectacle de danse ce soir ? demanda-t-elle un jour avec espoir.

Mike, distrait, les yeux rivés sur une pile de documents, répondit sans lever les yeux. — Je ferai de mon mieux, Effie. Mais... j'ai beaucoup de travail en ce moment.

Elle tenta de cacher sa déception, mais l'éloignement progressif de son père la blessait. Elle voyait bien que quelque chose le préoccupait, quelque chose d'assez grave pour lui voler son sourire et sa légèreté.