Frissons et Confidences

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Le mois de novembre s'installait avec sa brume froide et ses après-midis courts. Le ciel se ternissait plus tôt chaque jour, et la lumière se faisait plus douce, presque timide. Clara, elle, s'était habituée à ces journées solitaires où le bruit des feuilles mortes fouettées par le vent semblait accompagner chacun de ses pas. Mais ce n'était plus la solitude qui la marquait. Depuis quelques semaines, ses pensées tournaient autour de lui, d'Éliott.

Il y avait cette étrange tension entre eux, une complicité silencieuse, mais aussi une distance palpable qu'elle ne pouvait expliquer. Chaque fois qu'ils travaillaient ensemble dans la salle d'arts plastiques, elle sentait cette attirance mystérieuse grandir. Ce n'était pas seulement l'excitation de créer ensemble, mais quelque chose de plus, une forme de connexion qu'elle n'arrivait pas à comprendre. Elle avait l'impression que tout ce qu'elle faisait avec Éliott devenait important, plus que de simples coups de pinceau ou des esquisses.

Ce soir-là, comme tous les autres soirs depuis quelques semaines, ils s'étaient retrouvés après les cours dans la salle vide, seuls avec leur projet. La pièce était plongée dans une lumière tamisée, les fenêtres couvertes de rideaux épais, permettant juste assez de lumière pour dessiner. Clara était assise sur une table, ses bras croisés autour de ses genoux, tandis qu'Éliott se tenait devant une toile encore vierge. La peinture avait un parfum entêtant, une odeur particulière qui semblait envahir la pièce et se glisser dans chaque recoin.

La tension entre eux n'avait cessé de croître, invisible, mais bien présente. Clara l'observait souvent du coin de l'œil, remarquant la manière dont ses traits se durcissaient lorsqu'il se concentrant sur son travail. Il semblait si absorbé par son art, et en même temps, si distant. Il n'était pas le garçon facile à cerner, et chaque moment passé en sa compagnie la plongeait un peu plus dans l'incertitude. Est-ce qu'il ressentait aussi cette attirance fugace, cette alchimie qui les liait de manière imperceptible ?

Elle brisa le silence, incapable de supporter plus longtemps l'atmosphère oppressante.

— Éliott... tu sembles... différent ces derniers jours. C'est juste moi, ou il y a quelque chose qui ne va pas ?

Il se tourna lentement vers elle, ses yeux sombres fixant les siens. Pendant un instant, Clara crut qu'il allait détourner le regard, comme il le faisait toujours quand la conversation devenait un peu trop personnelle. Mais cette fois, il ne le fit pas. Ses yeux se plongèrent dans les siens, et un frisson parcourut l'échine de Clara.

— Rien... de grave, murmura-t-il. C'est juste que... parfois, j'ai l'impression que tout m'échappe. Que je suis coincé entre des choses que je ne comprends pas.

Clara sentit un poids dans ses mots, une fragilité qu'il ne lui avait jamais montrée auparavant. Elle ne sut pas pourquoi, mais en cet instant précis, quelque chose se brisa en elle. Il y avait une sorte de vulnérabilité qu'il ne voulait pas admettre, et pourtant, elle la percevait comme une évidence. Un frisson lui parcourut le dos. Peut-être n'était-ce pas juste un projet scolaire pour lui. Peut-être que, comme elle, il cherchait quelque chose de plus, une réponse qu'il n'arrivait pas à formuler.

Elle se leva de la table, un mouvement brusque, presque instinctif. Ses pieds glissèrent sur le sol froid du studio alors qu'elle s'approchait de lui. Sans vraiment réfléchir, elle murmura :

— Je crois que tu gardes trop de choses pour toi, Éliott. Tu n'as pas à tout garder pour toi. Tu sais, tu peux... tu peux en parler si tu veux.

Un silence s'installa entre eux, lourd, dense, presque suffocant. Clara attendait sa réaction, mais lui, il semblait paralysé. Il resta là, figé, ses yeux fixant l'endroit où elle se tenait, mais sans vraiment la voir. Son visage, pourtant si expressif d'ordinaire, était comme figé, les traits tirés par une émotion qu'il semblait refouler. Clara le vit serrer les poings, comme si la simple idée d'ouvrir son cœur était une épreuve insurmontable. Il soufflait par le nez, comme pour se donner du courage.

— C'est compliqué... soupira-t-il finalement, sa voix plus basse qu'à l'accoutumée, presque tremblante. Tu ne comprends pas. C'est difficile à expliquer, Clara. Il y a des choses que j'ai... que j'ai fait, et qui ne se laissent pas oublier facilement. Des choses dont je ne peux pas parler. Pas encore.

Elle s'approcha encore un peu, presque contre son gré. Elle ressentait ce désir irrésistible de le comprendre, de savoir ce qu'il cachait derrière ce masque de garçon tranquille. Mais, en même temps, il y avait une part de peur. Une peur de ce qu'il pourrait lui avouer. Elle savait que certaines vérités pouvaient tout changer, et peut-être n'était-elle pas prête à les entendre.

— Tu sais... tu n'es pas obligé de tout expliquer maintenant, dit-elle doucement, sa voix presque inaudible. Mais sache que... que je suis là, Éliott. Si jamais tu veux en parler. Peu importe ce que c'est. Tu n'es pas obligé de porter tout ça seul.

Il tourna enfin son regard vers elle, et pendant un moment, elle crut voir quelque chose dans ses yeux. Un mélange d'hésitation, de reconnaissance, et... de douleur. Un regard qui sembla déchirer un peu plus le voile de mystère qui l'entourait. Mais avant qu'il ne puisse répondre, il détourna le regard et s'éloigna d'un pas. Clara le suivit des yeux, observant sa silhouette s'éloigner dans l'ombre du studio.

— Merci, Clara, souffla-t-il. Mais il y a des choses qui ne se disent pas. Pas encore.

Elle le regarda s'éloigner, le cœur lourd. Elle aurait voulu le retenir, lui dire qu'il n'avait pas à tout garder en lui, mais elle savait aussi que ce n'était pas à elle de le forcer à se livrer. Certaines douleurs, certains secrets, se cachent dans les recoins les plus sombres de l'âme, et parfois, il fallait juste patienter, attendre que la personne se décide à les dévoiler d'elle-même.

Mais alors que la porte se refermait derrière lui, un frisson parcourut le corps de Clara. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle sentait qu'il n'avait pas simplement des secrets. Il portait un fardeau bien plus lourd, une douleur qu'il ne voulait pas laisser voir. Et quelque chose dans son regard lui disait que ce n'était que le début de quelque chose de bien plus compliqué.

Les minutes passèrent, et Clara resta là, seule dans la pièce vide. Elle se sentit envahie par un étrange mélange de frustration et de compassion. Elle voulait l'aider, mais elle savait qu'elle n'était pas encore prête à connaître toute l'histoire. Le silence retomba autour d'elle, lourd de promesses non tenues et de confessions qui se refusaient encore à naître. Mais au fond d'elle, Clara était convaincue d'une chose : ce moment partagé, cette confession fragile, marquait un tournant dans leur relation. Quelque chose venait de changer.

Sous un Ciel d'OragesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant