Fragilité du Cœur

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Clara marchait lentement dans les couloirs de l'école, son esprit encore tourné vers les derniers échanges avec Éliott. Leurs derniers mots, leurs silences, restaient suspendus dans l'air, comme une promesse non dite. Elle avait quitté la salle d'arts plastiques la veille, le cœur lourd et la tête pleine de questions sans réponses. Chaque pas la menait, presque à contre-cœur, vers ce qui semblait être une distance de plus en plus grande entre eux. Éliott avait esquissé un pas vers elle, une brèche dans son armure, mais elle savait que cette brèche n'était que le début d'une exploration de lui-même qu'il n'était pas encore prêt à faire.

Aujourd'hui, elle le cherchait, mais sans savoir réellement pourquoi. Était-ce par curiosité ? Par désir d'en savoir plus ? Ou simplement par la peur que tout cela disparaisse dans le néant, comme un rêve qui se dissipe au matin ? Elle avait senti la fragilité de ses mots la veille, et elle ne pouvait tout simplement pas l'oublier. Ce n'était pas un simple éclat d'âme qu'il lui avait montré, c'était un bout de lui-même qu'il lui avait dévoilé, un bout de lui qui laissait entendre une souffrance silencieuse.

Elle traversa le parc de l'école, où les arbres dénudés semblaient faire écho à son esprit. Les feuilles mortes volaient autour d'elle, emportées par un vent frais qui mordait la peau. Mais son corps semblait étouffé par l'incertitude, cette sensation persistante qu'il y avait encore quelque chose d'invisible entre eux, quelque chose d'inachevé. Elle arriva finalement à la salle d'arts plastiques.

Le couloir était désert. C'était l'heure où la plupart des élèves étaient partis, pressés de quitter l'établissement. Mais il y avait toujours quelques âmes perdues dans les recoins, comme elle, qui cherchaient un endroit pour se poser, pour oublier un instant le monde autour d'eux.

Clara toqua à la porte, sans grande conviction, avant de l'ouvrir doucement. La pièce était plongée dans une lumière douce, tamisée, l'odeur de peinture encore présente dans l'air. Elle aperçut Éliott, penché sur une toile, concentré sur des coups de pinceau, son visage d'ordinaire si impassible marqué par une profonde concentration.

Clara s'approcha de lui, mais elle resta un moment à l'observer. Ses gestes étaient fluides, maîtrisés, comme s'il tentait de s'évader dans cette création, d'oublier ce qui pouvait être trop lourd pour lui. Il ne la remarqua pas tout de suite. Elle se décida à prendre la parole.

— Salut, Éliott. Ça va ?

Il sursauta légèrement, comme s'il n'avait pas entendu sa présence. Il se tourna lentement vers elle, son regard soudainement plus intense qu'à l'accoutumée.

— Clara, salut... je ne t'avais pas vue entrer, murmura-t-il, un sourire timide effleurant ses lèvres. Désolé, je me suis un peu laissé emporter.

Clara se sentit déstabilisée par ce sourire fugace, mais elle ne savait toujours pas comment aborder les choses. Elle n'osait pas le forcer à s'ouvrir davantage. Mais la situation était devenue trop lourde pour qu'elle puisse simplement faire comme si de rien n'était.

— Éliott, hier... je pensais à ce que tu m'as dit. Tu sais, ce que tu as dit sur... sur tes peurs. Sur ce que tu ressens. Si tu veux en parler... je suis là, tu sais.

Elle n'était pas sûre que ce soit la bonne approche, mais il fallait qu'elle le lui dise. Elle ne voulait pas qu'il pense qu'elle l'avait oublié ou qu'elle ne s'intéressait pas à ce qu'il avait partagé. Il l'observa silencieusement pendant un moment. Un silence lourd, presque palpable, s'installa entre eux.

Éliott baissa les yeux vers la toile, sa main tremblant légèrement sur le pinceau. Il hésita, puis s'éloigna du chevalet, s'appuyant contre la table avec un soupir. Clara sentit son cœur se serrer, mais elle ne détourna pas le regard.

— Je ne sais même pas par où commencer, dit-il, sa voix presque inaudible. J'ai l'impression que tout ce que je fais n'est jamais assez... Je suis fatigué, Clara. Fatigué de tout garder pour moi. Mais je ne sais pas comment tout dire, comment te dire tout ça sans... sans te faire fuir.

Clara s'approcha un peu plus, posant sa main sur la table près de lui. Son cœur battait fort, mais elle ne se laissa pas submerger par la panique. Il avait commencé à parler, et ça, c'était un premier pas.

— Écoute, tu n'as pas à tout dire maintenant, si tu ne veux pas. Mais sache que je ne vais pas fuir. Je veux juste comprendre, Éliott. Je veux... que tu me laisses t'aider, même si c'est juste être là. Parce que je me doute que ça doit être difficile de porter tout ça seul.

Il la regarda alors, presque incrédule. Ses yeux, habituellement si fermés, semblaient presque à la recherche de quelque chose, comme s'il ne savait pas s'il pouvait lui faire confiance. Clara sentit un frisson lui parcourir le corps, car, pour la première fois, elle comprenait que ce qu'Éliott portait n'était pas une simple histoire d'adolescent en quête d'attention. Non, il avait vécu quelque chose de plus lourd, quelque chose qui ne se laissait pas oublier facilement.

— J'ai... j'ai perdu quelqu'un, dit-il, la voix faible. Et c'est... c'est comme si, depuis ce jour-là, tout a changé. Il n'y a plus de place pour les petites joies, les petites victoires. Tout est devenu fade. Ce que j'avais avant... je l'ai perdu. Et je ne sais plus comment retrouver le chemin.

Clara le regarda, une pointe de tristesse dans le cœur. Elle n'avait pas besoin de plus de détails. Elle comprenait. Elle comprenait ce vide qu'il ressentait, cette souffrance qu'il avait cachée sous des murs invisibles. Un profond silence s'installa, un silence que Clara ne voulait briser. Il était là, vulnérable, et elle ne savait pas si elle avait les mots pour apaiser sa douleur. Mais elle savait une chose : elle ne pouvait plus le laisser seul dans sa tempête intérieure.

— Je ne vais pas te dire que ça va passer, qu'il te suffit de parler pour que tout disparaisse, commença-t-elle doucement. Mais je vais te dire une chose : tu n'as pas à tout porter seul. Et peut-être qu'un jour, tu sauras à quel point tu mérites de vivre pleinement, malgré tout. Même avec cette douleur.

Éliott resta silencieux, son regard perdu dans un ailleurs, comme s'il pesait les mots qu'elle venait de prononcer. Puis il baissa la tête, mais cette fois, il ne chercha pas à fuir. Il semblait plus... ouvert, d'une certaine manière, comme si la brèche qu'il avait laissée entre eux était enfin prête à se transformer en quelque chose de plus solide.

Clara s'approcha encore un peu, sentant l'air devenir plus lourd autour d'eux. Puis, dans un élan de spontanéité, elle posa sa main sur son bras, la chaleur de sa paume se frayant un chemin dans le froid qui semblait l'envahir.

— Tu n'as pas à tout résoudre tout de suite, Éliott. Mais je serai là. Pas pour t'obliger à ouvrir ton cœur, mais juste pour être là, avec toi. Si tu en as besoin.

Éliott leva les yeux vers elle, une lueur d'émotion dans le regard. Clara sentit son cœur s'emballer. Il avait enfin accepté d'ouvrir un peu plus son âme, et cette ouverture, aussi fragile soit-elle, signifiait qu'il y avait une chance pour eux de briser les murs qu'il s'était construits.

Les mots étaient lourds, mais la connexion silencieuse qui naissait entre eux était encore plus puissante.

Sous un Ciel d'OragesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant