Le Poids des Silences

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Le temps avait cette étrange manière de passer, comme si chaque jour était suspendu entre le passé et l'avenir, mais en même temps, rien ne semblait vraiment avoir changé. Clara s'était habituée à cette nouvelle dynamique avec Éliott, à cette tranquillité qui suivait le tumulte émotionnel qu'ils avaient traversé. Pourtant, dans les recoins de son esprit, une légère appréhension persistait, comme une brume qui ne se dissipe jamais totalement.

Ce matin-là, Clara se leva avec une sensation étrange. Elle avait l'impression que quelque chose allait se passer, quelque chose qu'elle ne pouvait ni comprendre ni anticiper. Éliott était déjà parti, comme à son habitude, avant l'aube, avec cette manière de partir discrètement, presque sans laisser de trace. Il avait ce besoin de solitude, de silence, qui ne cessait de la troubler. Elle savait qu'il s'agissait de sa manière à lui de faire face à ses démons, à ses doutes, mais parfois, cela la laissait seule avec ses propres questionnements.

Elle se leva lentement, enfila un jean et un t-shirt, et se dirigea vers la cuisine. La lumière du matin filtrait à travers les rideaux, illuminant la pièce d'une douce chaleur. Clara laissa ses pensées s'échapper, les laissant errer sans but. Elle n'avait pas de plan pour la journée, juste une vague sensation de flottement. Mais il fallait avancer. Elle savait que, si elle se laissait emporter par cette lente dérive, elle risquait de se perdre à son tour.

Elle se versa un café, ses mains tremblant légèrement. Ce n'était pas de l'anxiété, mais plutôt un excédent de pensées, une accumulation de sentiments qu'elle n'arrivait pas encore à formuler. Elle se retrouva à fixer le liquide noir qui tourbillonnait dans sa tasse, l'esprit empli d'un mélange de certitudes et de doutes. Peut-être était-ce le calme avant la tempête, ou peut-être était-ce simplement une période d'incertitude, un espace entre ce qu'ils avaient vécu et ce qu'ils seraient prêts à vivre ensuite.

La porte d'entrée s'ouvrit brusquement, tirant Clara de ses pensées. Elle se retourna, le cœur battant plus fort. Éliott était là, les cheveux éparpillés et un air étrange sur le visage. Il ne souriait pas comme d'habitude, ni même ne paraissait soulagé comme après une longue journée. Non, il y avait une ombre dans ses yeux, quelque chose qu'elle ne reconnaissait pas tout de suite.

— Clara, dit-il d'une voix grave, presque hésitante. Il faut qu'on parle.

Les mots étaient lourds, comme une promesse de changement. Clara posa sa tasse avec une précision presque mécanique, se sentant soudainement plus alertée qu'elle ne l'avait été depuis longtemps. Un frisson d'inquiétude traversa son corps. Ce ton, cette manière de se tenir là, comme s'il portait un poids immense, éveillait en elle un profond malaise.

— De quoi veux-tu parler ? demanda-t-elle, sa voix plus calme qu'elle ne l'aurait cru.

Éliott s'avança lentement, mais il semblait hésitant, comme s'il cherchait la meilleure manière de formuler ce qui le tourmentait. Clara l'observa, son regard se posant sur chaque détail, chaque imperfection. C'était comme si tout était amplifié dans ce moment précis. Les silences pesaient plus lourds que jamais.

— Je... Je ne sais pas comment te le dire, mais je crois que j'ai besoin de faire une pause. Pas une pause définitive, mais... de l'espace. De l'air, Clara. Je... Il marqua une pause, ses yeux fuyant les siens. Je ne suis pas sûr de ce que je ressens en ce moment.

Ces mots frappèrent Clara comme un coup de poing. Une pause. Un espace. Elle sentit une boule se former dans sa gorge, mais elle se força à rester calme. Leurs récentes conversations, les promesses qu'ils s'étaient faites, semblaient s'effondrer d'un coup. Était-ce réellement ce dont il avait besoin ? Ou était-ce l'issue de tout ce qu'ils avaient traversé ensemble, la preuve que leurs efforts n'étaient qu'une illusion fragile ?

— Une pause ? répéta Clara, un léger tremblement dans la voix. Mais... pourquoi ?

Éliott ferma les yeux un instant, comme s'il cherchait ses mots, comme s'il cherchait à articuler ce qu'il avait du mal à comprendre lui-même. Lorsqu'il rouvrit les yeux, il semblait à la fois désespéré et fatigué.

— Parce que je ne sais plus, Clara. Je ne sais plus si je suis capable d'être la personne que tu attends de moi. Je t'ai dit que je voulais avancer avec toi, mais je... je crois que je suis encore trop perdu pour ça. Je... Il secoua la tête. Je crois que j'ai encore trop de bagages à porter, des blessures qui ne sont pas guéries. Et je ne veux pas te tirer vers le bas.

Clara serra les poings, une frustration sourde envahissant son esprit. Elle savait que tout cela n'était pas facile, que chaque relation avait ses propres luttes, ses propres défis. Mais elle n'avait pas imaginé que ces luttes prendraient la forme d'un mur qu'Éliott bâtissait entre eux, un mur qu'elle ne pourrait pas franchir.

— Tu veux faire une pause... mais est-ce que tu sais ce que ça signifie vraiment ? demanda-t-elle d'une voix plus ferme. Tu veux prendre du recul, mais je suis déjà en train de m'éloigner à chaque seconde où tu te refermes sur toi-même. Est-ce que tu te rends compte de ce que ça fait, Éliott ?

Le silence s'installa entre eux. Un silence lourd, presque suffocant. Éliott ne bougeait pas, ses yeux fixant le sol, comme si chaque mot de Clara l'avait frappé plus fort que prévu. Il savait qu'il venait de briser quelque chose, quelque chose qu'il ne pourrait peut-être jamais réparer.

— Je ne sais pas comment... commença-t-il, mais ses mots moururent dans sa gorge.

Clara prit une profonde inspiration et détourna les yeux. Elle se sentait perdue, le cœur serré, mais aussi empli d'une colère sourde qu'elle n'avait jamais exprimée jusque-là. Elle s'était battue pour lui, pour eux, pour leur relation. Mais se battre à sens unique, cela n'avait pas de sens. Il fallait qu'elle fasse face à cette réalité : il n'était peut-être pas prêt à affronter cette relation, pas prêt à laisser tomber les murs qu'il avait construits autour de lui.

— Peut-être que cette pause, c'est ce qu'on a besoin tous les deux, dit-elle doucement, son regard se posant sur lui. Peut-être que c'est ce qui va nous permettre de savoir ce que l'on veut vraiment. Mais sache que si tu veux vraiment qu'on fasse une pause, alors je n'attends plus rien de toi. Je vais avancer de mon côté, avec ou sans toi. Parce qu'au final, je mérite quelqu'un qui est prêt à être là, sans hésitation.

Éliott se redressa, une expression de tristesse profonde traversant ses traits. Il savait que la porte qu'il venait d'ouvrir ne serait pas facile à refermer. Mais il comprenait aussi que ce qu'il avait dit, ce qu'il proposait, n'était peut-être pas une fin. Pas encore.

— Je suis désolé, Clara, dit-il enfin, sa voix remplie de regrets. Je ne voulais pas te faire de mal. Mais je comprends ce que tu ressens. Je te promets que je vais réfléchir, vraiment. À ce que je veux, à ce que je suis.

Clara hocha la tête, essayant de maîtriser l'émotion qui montait en elle. Elle n'était pas prête à tout perdre, mais elle savait que parfois, il fallait se perdre soi-même pour mieux se retrouver.

Elle se tourna vers la porte, le regard déterminé, comme si cette décision marquait le début d'une nouvelle ère pour elle, un moment où elle reprendrait enfin le contrôle de son propre destin.

— Je vais réfléchir aussi, Éliott. Parce qu'aujourd'hui, il faut qu'on se retrouve, mais d'abord, il faut que je me retrouve moi-même.

Il ne répondit pas. Mais Clara savait que ce silence était la première étape vers une vérité qu'ils devaient affronter, chacun de leur côté. Elle franchit la porte, laissant derrière elle les derniers vestiges de leur passé commun.

Sous un Ciel d'OragesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant