Les jours s'étaient écoulés, marqués par une lente évolution dans la relation entre Clara et Éliott. Il n'y avait pas eu de grand bouleversement, pas de révélation soudaine qui aurait changé la donne, mais une série de petits moments qui avaient transformé leur connexion. Peu à peu, Clara sentait qu'Éliott se détendait. Il lui souriait parfois sans raison, un sourire furtif mais sincère, comme si le poids qui pesait sur ses épaules devenait un peu plus léger à chaque rencontre.
Ce matin-là, alors qu'elle traversait le parc de l'école, Clara sentit quelque chose de différent dans l'air. Un frisson parcourut son dos, un sentiment d'anticipation, comme si elle s'apprêtait à franchir une étape importante. L'automne, avec son parfum de terre humide et d'air frais, semblait tout à coup plus beau, comme si la saison elle-même se préparait à révéler un secret.
Elle arriva à la porte de la salle d'arts plastiques, son cœur battant plus vite que d'habitude. Éliott n'était pas encore là. Elle entra sans frapper, se dirigea vers son coin habituel, et attendit. Quelques minutes plus tard, la porte s'ouvrit doucement, et Éliott apparut, les cheveux en bataille, l'air un peu fatigué mais toujours ce petit éclat dans le regard qui la rassurait.
— Salut, Clara, dit-il, sa voix légèrement rauque, comme s'il avait parlé trop tôt dans la journée. Désolé pour le retard.
— Ce n'est rien, répondit-elle avec un sourire. J'aime bien être ici un moment seule avant qu'on commence. Ça me permet de me concentrer.
Il hocha la tête, s'approchant de la table où se trouvait sa toile, les yeux fixés sur le travail qu'il avait commencé. Clara l'observa discrètement. Il était toujours aussi absorbé par ses créations. Ses gestes étaient précis, presque compulsifs, comme s'il cherchait à capturer un fragment de son âme dans la peinture, un fragment qu'il n'arrivait pas à exprimer autrement.
Elle s'approcha lentement de lui, se glissant dans l'espace entre lui et la toile. Leurs regards se croisèrent brièvement, et il lui sourit, mais d'une manière différente cette fois. Ce n'était plus le sourire timide qu'il lui adressait habituellement, mais un sourire plus ouvert, plus sincère, comme s'il était enfin prêt à la laisser entrer dans son monde intérieur.
— Tu sais, Éliott, dit-elle doucement, j'ai remarqué quelque chose dans tes peintures ces derniers jours. Elles sont... différentes. Tu... tu mets quelque chose de plus dedans, quelque chose que tu n'avais pas avant.
Il posa son pinceau, son regard se perdant un instant dans les couleurs éclatantes de la toile. Ses yeux étaient brillants, mais aussi assombris par des souvenirs qu'il ne voulait peut-être pas affronter. Il soupira et se tourna vers elle, sa voix devenant plus basse, presque comme un murmure.
— C'est étrange, dit-il, la voix tremblante. Je ne sais même pas ce que je cherche. Parfois, j'ai l'impression que je peins pour exorciser quelque chose. Mais chaque fois que je termine une toile, il reste toujours ce vide, ce... ce manque.
Clara le regarda, un peu perdue. Elle savait que ce qu'il ressentait était bien plus profond que ce qu'il laissait entendre. Mais elle ne voulait pas le forcer à en parler. Elle voulait qu'il le fasse quand il serait prêt, sans pression.
— Tu sais, il n'est pas nécessaire d'avoir toutes les réponses tout de suite, répondit-elle doucement. Parfois, c'est dans l'acte de créer que l'on trouve des réponses... même sans le vouloir. Ce vide que tu ressens, peut-être qu'il ne partira jamais complètement. Mais... peut-être qu'il peut devenir quelque chose de plus beau, avec le temps.
Il la regarda intensément, un silence lourd s'instaurant entre eux. Puis il se leva soudainement, comme s'il avait pris une décision.
— Viens, viens avec moi. Je veux te montrer quelque chose, dit-il avec un éclat dans les yeux.
Clara ne s'attendait pas à cette invitation, mais son cœur s'emballa quand il la guida hors de la salle. Il ne laissait pas le temps aux questions de surgir. Elle le suivit, traversant le hall de l'école et sortant dans le froid de la cour. Éliott la mena derrière un vieux bâtiment, où un petit jardin abandonné était caché par des buissons touffus et des branches basses.
Le jardin était isolé, presque oublié par les élèves. La végétation y poussait à l'état sauvage, un mélange de fleurs fanées et de mauvaises herbes, le tout envahi par la brume légère d'un matin d'automne. C'était un endroit tranquille, presque magique. Un endroit où l'on pouvait laisser le monde derrière soi et être seul avec ses pensées.
— C'est ici, dit-il en s'arrêtant au centre du jardin, regardant autour de lui comme s'il attendait un signe de réconfort de la nature elle-même. Je viens ici souvent. C'est comme... un endroit où je peux respirer, loin de tout.
Clara se sentit soudainement envahie par une sensation étrange. C'était comme si cet endroit représentait un secret qu'il n'avait partagé avec personne. Et elle, elle faisait maintenant partie de ce secret. Elle s'approcha de lui, légèrement nerveuse, mais aussi curieuse.
— Pourquoi me l'avoir montré ? demanda-t-elle, son regard scrutant ses yeux, cherchant une réponse qui n'arrivait pas immédiatement.
Il resta silencieux pendant un moment, regardant le sol. Puis il leva les yeux, croisant son regard, et dit d'une voix plus douce que d'habitude :
— Parce que j'ai l'impression que c'est ici que je peux être moi-même. Et je veux... je veux être moi-même avec toi, Clara. Je... je suis fatigué de jouer à être quelqu'un d'autre.
Il y eut un silence, lourd de significations non dites. Clara sentit son cœur s'emballer, et la chaleur de ses joues la trahit. Elle n'avait pas imaginé que la confession d'Éliott serait aussi... intime, aussi vulnérable.
Elle s'avança un peu plus près de lui, ses pieds écrasant les feuilles mortes sous ses pas. Elle lui sourit, d'un sourire sincère, peut-être même un peu timide, avant de répondre :
— Tu n'as pas à être quelqu'un d'autre avec moi, Éliott. Je... je te vois. Vraiment. Et peu importe ce que tu as vécu ou ce que tu ressens. Ça n'enlève rien à qui tu es.
Il ferma les yeux un instant, comme si ces mots avaient le pouvoir de chasser une part de la douleur qui l'habitait. Puis, lentement, il se tourna vers elle, une sorte de calme envahissant son visage.
— Clara, je ne sais pas comment te dire à quel point... à quel point je suis perdu. Mais tu es la seule personne qui semble ne pas me juger pour ça. Et je n'ai jamais ressenti ça avant.
Elle s'approcha de lui encore, sentant l'intensité de ce moment se tisser entre eux. Ils se tenaient à quelques centimètres l'un de l'autre, presque à portée de main, et Clara pouvait sentir l'air entre eux devenir plus lourd, plus dense, comme si quelque chose allait se briser ou se reconstruire.
— Et tu ne seras jamais seul, Éliott. Parce que je suis là, avec toi. Pour toi, dans tous les sens du terme, dit-elle, sa voix empreinte d'une conviction nouvelle.
Le regard d'Éliott se radoucit, comme une mer calme après une tempête, et il se pencha lentement vers elle. Clara, le cœur battant à tout rompre, attendit, sans savoir si elle devait reculer ou avancer. Mais la réponse se trouvait dans le silence partagé, dans cet instant suspendu.
Et dans ce silence, leurs lèvres se frôlèrent enfin.
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Sous un Ciel d'Orages
RomanceDans la petite ville de Rivemont, deux adolescents aux vies très différentes vont se rencontrer lors d'un été mouvementé. Clara, 17 ans, rêve de quitter la ville pour explorer le monde. Passionnée de dessin, elle se perd souvent dans ses esquisses...