Les Silences qui Parlent

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Les journées avaient commencé à filer à une vitesse insensée. Le lycée devenait une sorte de toile de fond pour les moments précieux et intenses que Clara partageait avec Éliott. Parfois, ils se retrouvaient dans des recoins discrets, où les murmures du monde extérieur étaient étouffés, juste pour s'accorder un peu de répit. Mais même dans ces instants de calme, il y avait toujours cette tension invisible, celle qui s'était installée entre eux après toutes les confessions et les découvertes. Clara n'arrivait pas à ignorer cette ombre qui planait autour d'Éliott, comme si quelque chose en lui, en eux, n'était pas totalement résolu. Et pourtant, elle sentait que leur relation s'approfondissait.

Ce matin-là, la brume persistait dans l'air, emprisonnant la ville dans une sensation de douceur. Clara marchait d'un pas lent à travers les rues encore humides de la pluie de la veille, ses pensées tournées vers Éliott. Depuis leur dernière conversation, elle avait senti un changement subtil. Éliott était plus réservé, presque trop silencieux. Mais Clara savait que ce n'était pas un retrait de sa part, c'était plutôt une manière de traiter les émotions qui bouillonnaient sous la surface. Elle avait vu dans ses yeux cette lueur d'incertitude, comme s'il se sentait piégé dans ses propres pensées, hésitant entre se livrer entièrement ou se protéger encore un peu.

En arrivant au lycée, elle le chercha immédiatement du regard. Il n'était pas là, comme d'habitude. Elle s'approcha des escaliers, où ils se retrouvaient parfois pour partager un café, mais il était toujours absent. Un petit frisson d'inquiétude parcourut son dos. Elle avait l'impression que chaque jour, Éliott devenait un peu plus difficile à atteindre.

Elle décida de l'attendre dans leur coin habituel, espérant qu'il finirait par arriver. Le temps passait lentement, et Clara observait les autres élèves entrer et sortir du bâtiment. Mais ses pensées étaient tout autre, centrées sur lui, sur ce qu'il vivait. Elle avait toujours cette inquiétude grandissante, cette sensation qu'il s'enfonçait dans quelque chose d'encore plus profond, qu'il se battait contre des démons qu'il ne savait pas comment exorciser.

Enfin, au bout d'un moment, elle aperçut sa silhouette. Il marchait, les yeux fixés au sol, un air absent sur le visage. Clara se leva immédiatement, un sourire qui se voulait rassurant sur les lèvres, mais en voyant l'expression d'Éliott, elle comprit que ce sourire serait insuffisant. Quelque chose le rongeait.

— Salut, Éliott, dit-elle en s'approchant doucement, ne voulant pas l'effrayer. Ça va ?

Il leva les yeux vers elle, et un voile de fatigue se dessina dans son regard. Il ne répondit pas tout de suite, comme s'il choisissait ses mots. Puis, d'une voix basse, il murmura :

— Clara... Je suis désolé. Je... je crois que je t'ai laissé dans un flou total ces derniers temps. J'ai l'impression de te repousser, mais c'est juste que je... je me perds un peu. J'ai l'impression d'être trop compliqué à comprendre.

Clara sentit une boule dans sa gorge, mais elle garda son calme. Il était enfin en train de s'ouvrir, et même si ça faisait mal, elle savait que c'était un progrès. Elle s'assit près de lui, croisant les bras autour de ses genoux.

— Tu sais, Éliott, tu n'as pas à être parfait, répondit-elle doucement. J'ai toujours su que tu avais tes luttes, tes blessures. Mais je t'ai dit que je ne m'attendais pas à ce que tout soit simple. Ce que je veux, c'est être là pour toi. Pas pour te juger, pas pour te faire changer, mais juste pour... être présente.

Il la regarda longuement, puis détourna les yeux, perdu dans ses pensées. Ses mains tremblaient légèrement, et Clara se demanda à quel point il était fatigué de lutter contre lui-même. Elle n'avait pas idée de l'étendue de ses tourments, mais elle savait que c'était grand. Trop grand pour être seul.

— Tu sais, Clara... ce qui me fait vraiment peur, c'est de te faire du mal. J'ai l'impression que chaque fois que je m'ouvre, je t'emporte dans ma tempête. Et je ne veux pas que tu me voies de cette manière. Je ne veux pas que tu penses que je suis... brisé. Mais parfois, c'est comme si tout ce que j'avais vécu était trop lourd. Comme si ça m'empêchait de respirer.

Le cœur de Clara se serra. Elle ne voulait pas que cette souffrance l'emprisonne davantage. Elle se rapprocha de lui, posant doucement sa main sur la sienne.

— Ce n'est pas ça, Éliott. Ce n'est pas toi qui es brisé, c'est le passé. Ce n'est pas ta faute, tu sais. Ce que tu vis, ce que tu ressens, ça fait partie de ton histoire. Mais il y a une différence entre être défini par ton passé et laisser ce passé te guider. Et moi, je ne te vois pas comme une victime, je te vois comme quelqu'un de fort. Quelqu'un qui est prêt à avancer, même si c'est difficile.

Il soupira profondément, fermant les yeux pendant un instant, comme si les mots de Clara étaient à la fois un soulagement et une nouvelle charge. Ils étaient vrais, mais il n'arrivait pas encore à les accepter pleinement.

— Je voudrais que ce soit aussi simple que tu le dis, murmura-t-il, mais je me sens coincé, comme si j'étais pris dans une boucle. J'ai du mal à me voir comme quelqu'un qui mérite d'aller de l'avant. Tout ce que je vois quand je me regarde, c'est ce passé. Et il est là, omniprésent, qui me hante.

Clara sentit un frisson d'empathie envahir son corps. Elle savait que ce n'était pas facile de lutter contre des fantômes invisibles, des souvenirs qui s'infiltraient dans chaque recoin de l'esprit, rendant l'avenir incertain. Mais elle savait aussi que tout n'était pas perdu.

— Écoute, Éliott, même si tu n'arrives pas à voir cela en ce moment, je veux que tu saches que tu n'es pas seul dans cette lutte. Tu as le droit de te sentir fatigué, tu as le droit de douter. Mais je veux être là pour toi, à chaque étape, même quand tu te sens perdu. C'est ce que l'amour fait, Éliott. Ça ne t'exige pas d'être parfait, ça ne te demande pas de tout comprendre immédiatement. Ça te demande simplement de faire confiance à ceux qui t'aiment, de te laisser guider, même quand tu n'y crois plus.

Il leva les yeux vers elle, une lueur de reconnaissance dans ses prunelles. Mais il était toujours dans cette incertitude qui le tirait dans différentes directions. Il était difficile pour lui d'accepter qu'on puisse l'aimer, surtout avec tout ce qu'il avait vécu.

— C'est... c'est plus facile à dire qu'à faire, avoua-t-il. Je me sens tellement... incomplet, parfois. Comme si je n'avais plus de place pour grandir.

Clara sourit doucement, cette fois-ci sans aucune hésitation, et posa sa main sur sa joue, la caressant doucement.

— Mais ça n'a pas d'importance, Éliott. Parce que je serai là à chaque étape. Et tu n'as pas à tout réparer tout de suite. Prendre ton temps, avancer à ton rythme, c'est tout ce qu'il faut. Et si tu veux parler, je serai là. Si tu veux rester silencieux, je serai là aussi. Peu importe où tu es dans ton voyage, je ne te quitterai pas.

Il ferma les yeux un instant, comme absorbé par ses paroles. Clara savait qu'il n'était pas encore prêt à tout lâcher. Elle savait aussi qu'il fallait du temps. Mais ce qu'elle savait par-dessus tout, c'était que chaque petit pas comptait. Et aujourd'hui, elle avait fait un grand pas vers lui.

Ils restèrent là, un long moment, dans une tranquillité calme et pleine de promesses silencieuses. Pas de mots supplémentaires. Pas de gestes brusques. Juste la présence, simple et chaleureuse, qui disait tout.

Quand il tourna enfin la tête vers elle, un léger sourire, fragile mais sincère, apparut sur ses lèvres.

— Merci, Clara. Vraiment, merci.

Clara sourit à son tour, son cœur plus léger. La route serait longue, mais ils la parcourraient ensemble, pas à pas. Et cela suffisait pour aujourd'hui.

Sous un Ciel d'OragesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant