Épilogue

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Lorsque Jordan quitta l'aéroport, la neige tombait à gros flocons. Il referma la fermeture de son manteau jusque sous son menton et s'engouffra dans le premier taxi qu'il croisa. La différence de température entre San Francisco et Montréal était saisissante. Bien trop pour lui, mais c'était un mal nécessaire.

L'audience à laquelle il était convié pour le meurtre de son frère, ainsi que celui de son père, avait eut lieu dans la matinée. Son avocat avait fait un travail exemplaire, combiné au soutien du FBI, ce rendez-vous avec le juge n'avait été qu'une formalité. Il n'avait même pas de casier judiciaire, c'était comme s'il ne s'était rien passé. À part le fait qu'il ait assassiné son père ainsi que son frère. Le premier le méritait amplement, le deuxième... Eh bien, disons que quatre mois après les faits, Jordan avait toujours du mal à accepter le sort qu'il avait asséné à Andréa. Bien évidemment, il gardait cela pour lui. Sa culpabilité était enfouie au plus profond de son être et elle resterait à cette place jusqu'à son dernier souffle.

Le regard tourné vers la fenêtre, Jordan observait le paysage si différent de celui qu'il avait connu ces dernières années. Le sable et le soleil avaient laissé place à la neige et au froid. Il ignorait comment Gabriel avait réussi à le convaincre de venir s'installer à Montréal, dans un endroit où il neige six mois dans l'année. La vérité, c'était surtout qu'il était incapable de lui refuser quoi que ce soit.

Lorsque les choses s'étaient tassées, qu'il avait fait le nécessaire pour vendre sa villa, Jordan lui avait demandé où il désirait aller. Avec l'argent de la vente de la maison, combiné à celle de son entreprise, ils avaient suffisamment d'argent pour vivre où bon leur semblait et d'être à l'abri du besoin jusqu'à la fin de leurs vies. Gabriel avait longuement réfléchi puis il avait décidé que ce serait le Québec. Un mois plus tard, ils achetaient une maison à Montréal. Elle était bien loin de la superficie de sa villa, mais Jordan s'en fichait complètement. C'était leur maison, à tous les trois. Leur nouveau départ.

Le taxi s'arrêta devant sa nouvelle demeure. À cause du procès en cours, Jordan avait eu l'interdiction de quitter le pays. Le choix de leur future maison, les visites, les papiers administratifs, tout avait été fait par Gabriel. Jordan lui avait donné carte blanche. Son petit ami avait choisi la maison, le quartier, exactement comme il le souhaitait. Il l'avait vu en photo, mais c'était la première fois que Jordan se trouvait devant la bâtisse.

En le remerciant, il glissa un billet dans la main du chauffeur puis descendit du véhicule. Le froid mordant le saisit et il s'empressa de se diriger vers la maison. Du moins, aussi vite qu'il le pouvait.

Le combat avec son père avait laissé des séquelles. Il avait subi deux opérations, plusieurs longues semaines de rééducation, mais sa jambe n'avait jamais guéri. Il pouvait marcher, conduire, avoir une vie normale, sauf qu'il boitait la plupart du temps. C'était léger, mais bien présent. Pourtant, il ne prenait pas ça comme un coup du sort, car il s'estimait chanceux d'avoir survécu.

Dès que Jordan s'engouffra dans l'allée menant à la maison, la porte d'entrée s'ouvrit et Isaac sortit en courant. Il eut à peine le temps de se pencher pour le réceptionner dans ses bras. Cela faisait deux semaines qu'ils ne s'étaient pas vues, autant dire une éternité. Cet enfant, Jordan avait appris à l'aimer comme si c'était le sien. Être séparé de lui avait été plus difficile que ce qu'il avait imaginé, avoir le loisir de le serrer dans ses bras était la récompense ultime de cette journée riche en rebondissements.

— Tu vas attraper froid à sortir comme ça ! le rabroua-t-il.

— Je voulais te voir ! Tu m'as manqué.

— Toi aussi, avoua-t-il dans un murmure. Énormément.

En guise de réponse, Isaac glissa ses bras autour de son cou en le serrant de toutes ses forces. Depuis son séjour à l'hôpital, il n'avait jamais été aussi collant. Pas que cela soit une mauvaise chose, mais Jordan savait que cela cachait une inquiétude profonde. Il avait peur qu'il disparaisse à nouveau. C'était son rôle de le rassurer, et il comptait bien y parvenir en lui construisant la vie dont il avait besoin.

— Gaby a fait des pancakes, lui dit-il alors qu'il marchait vers le perron. On t'en a laissé deux.

— Seulement deux ?! Vous m'avez mis au régime !

Isaac se mit à rire, alors que Jordan le déposa au sol lorsqu'ils entrèrent dans la maison. Cette dernière possédait tout ce dont ils avaient besoin, le luxe sans l'arrogance de la richesse. Jordan avait mis un point d'honneur à ce détail. Ils avaient quitté San Francisco afin d'être en sécurité, et cela passait par se fondre dans la masse. Aux yeux des voisins comme des gens lambda, ils étaient une famille modeste venant d'emménager dans le quartier. Ni plus ni moins.

Gabriel quitta la cuisine pour venir à sa rencontre, alors qu'Isaac était déjà parti dans le salon comme une furie. Un sourire aux lèvres, il vint se glisser dans ses bras comme il avait l'habitude de le faire. Deux longues semaines sans avoir le loisir de respirer son odeur ou de sentir son corps contre le sien. Jordan se demandait comment il avait réussi à tenir au début de leur relation avec les huit mille kilomètres qui les séparaient.

— Bonsoir, s'exclama Gabriel en se mettant sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur ses lèvres. Comment ça s'est passé ? Tu ne m'as pas appelé, j'ai cru qu'il y avait un problème.

— J'avais hâte de sauter dans l'avion pour vous rejoindre, répondit-il en souriant, le bout de ses doigts glissant vers son front pour repousser l'une de ses mèches rebelles. Ça s'est passé à merveille. C'est terminé.

Malgré le peu de doutes qu'ils avaient au sujet du verdict, Jordan put lire du soulagement dans les yeux de son petit ami. Un sentiment qu'il avait lui-même ressenti en sortant du tribunal. Cette histoire était derrière eux désormais, et Jordan ne comptait pas en discuter une seconde de plus. 

— Il paraît qu'il y a des pancakes qui m'attendent, s'exclama-t-il. Je meurs de faim.

— Le contraire m'aurait étonné !

Un rire échappa à Gabriel qui s'écarta pour glisser sa main dans la sienne afin de l'emmener dans la cuisine. Sans attendre, Jordan s'assit sur l'une des chaises en massant sa jambe engourdie d'être resté debout trop longtemps. Gabriel déposa une assiette dans laquelle trônaient les pancakes recouverts de beurre de cacahuètes, exactement comme il adorait les manger. Jordan le remercia d'un simple regard, sans avoir besoin de prononcer le moindre mot.

Maintenant que son entreprise était vendue, Jordan ignorait ce qu'il ferait du reste de sa vie. Pour l'instant, il profitait de ce que celle-ci avait à lui offrir. Leur nouvelle maison avait besoin de quelques travaux et de beaucoup d'aménagement. Des piles de cartons étaient encore présentes dans plusieurs pièces, mais ils auraient tout le temps de s'en occuper. Isaac lui avait réclamé la même chambre qu'il avait dans sa villa, et il comptait bien lui faire ce cadeau.

Jordan savoura ses pancakes aux côtés de Gabriel, plongé dans l'écriture d'un manuscrit qui – il l'espérait – serait un jour un futur best-seller. Isaac jouait avec sa voiture téléguidée, pilotant cette dernière dans toute la maison en heurtant les meubles par moment, sous les brimades de Gabriel qui ne levait même pas le nez de son écran.

Oui, Jordan ignorait ce qu'il ferait du reste de sa vie. Parce que tout ce qu'il désirait, depuis toujours, se trouvait déjà dans cette maison.


FIN

Par-delà l'horizon - Bardella x AttalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant