RAD ( SF, Romance, IA, futur)

Les cicatrices invisibles de Thornes

Le sentier serpentait à travers une vallée bordée de montagnes imposantes. Les cimes enneigées luisaient sous le soleil tandis qu'en contrebas, des rivières scintillaient comme des rubans d'argent. Rad, Kael, Oris, Ira et Thorne marchaient en silence, leurs pas résonnant faiblement sur les pierres. Le groupe venait de quitter la ville des nains, laissant derrière eux un chaos qu'ils espéraient ne plus croiser. Mais la tension dans l'air n'était pas uniquement liée à leurs aventures récentes. Quelque chose de non-dit planait entre eux.

Ira, comme toujours, était la première à briser le silence.

— "Thorne, tu es souvent prompt à parler de tes conquêtes ou de ton savoir, mais tu es étrangement silencieux aujourd'hui. Pourquoi te caches-tu derrière ton arrogance ? Quel est ton véritable passé ?"

Rad et Kael échangèrent un regard surpris, mais personne ne parla. Même Oris cessa de trottiner, ses oreilles mécaniques se dressant pour écouter. Thorne, habituellement rapide à répondre avec une réplique cinglante ou une boutade charmeuse, resta silencieux un moment.

— "Mon passé ?" dit-il enfin, un sourire triste sur les lèvres. "C'est une histoire banale, Ira. Une parmi tant d'autres. Pourquoi t'y intéresser ?"

— "Parce que," répondit Ira, son ton curieusement doux, "les humains sont des contradictions. Vous vous accrochez à vos blessures et pourtant, vous construisez votre identité autour d'elles. Si tu es ce que tu es aujourd'hui, c'est à cause de ce passé. Alors, raconte-le."

Thorne soupira, passant une main dans ses cheveux impeccablement coiffés. Puis, fixant l'horizon, il commença.

— "Je suis né dans une époque de transition, quand l'humanité a commencé à se perdre dans la perfection des machines. Mon père, un homme froid et pragmatique, était un fervent partisan de l'intégration IA. Il disait toujours : 'L'imperfection est un défaut qu'il faut éradiquer.'"

Thorne marqua une pause, son regard se durcissant légèrement.
— "Je n'ai jamais été à la hauteur de ses attentes. Trop humain, disait-il. Trop émotif, trop fragile. J'étais un enfant curieux, mais aussi maladroit. Chaque échec, chaque chute, était une preuve pour lui que j'étais une erreur."

Kael fronça les sourcils, murmurant pour lui-même :
— "Charmant père."

Thorne continua, ignorant l'interruption :
— "Quand j'avais dix ans, il m'a emmené dans un centre d'augmentation. Il voulait que je reçoive les premières modifications IA. J'étais terrifié. Je ne comprenais pas pourquoi il voulait changer ce que j'étais. Quand j'ai refusé, il m'a abandonné."

Le groupe resta silencieux, mais l'atmosphère se fit plus lourde.

— "Je me suis retrouvé seul, dans un monde qui n'avait plus de place pour les imparfaits. Les moqueries, les humiliations... Je suis devenu une cible. Une 'relique', comme ils disaient. Un gamin cassé dans un monde qui ne tolère pas ce qui ne fonctionne pas comme prévu."

Thorne baissa les yeux, un sourire amer sur ses lèvres.
— "Je me souviens d'une fois... Ils m'ont enfermé dans une pièce froide, sans lumière. Juste parce que je n'avais pas les réflexes qu'ils avaient, parce que je trébuchais là où ils sautaient. Les heures passaient, et je n'avais que mes pensées pour me tenir compagnie. Et tu sais quoi, Ira ?"

Il leva les yeux, croisant le regard de l'IA.
— "C'est là que j'ai appris à me connaître. À aimer cette 'imperfection' qu'ils méprisaient. Parce que dans cette obscurité, je me suis raconté des histoires. J'ai imaginé des mondes, des vies où je n'étais pas une erreur mais une pièce unique du puzzle."

Rad, qui n'avait pas dit un mot jusque-là, murmura doucement :
— "Tu as survécu. Pas seulement physiquement, mais mentalement. C'est ça, ta force."

Thorne hocha la tête.
— "Oui. Mais ce n'était pas facile. J'ai erré pendant des années, vivant de mes connaissances, apprenant tout ce que je pouvais. Les plantes, les étoiles, les livres... Tout ce qui faisait de moi un humain vivant, et non un automate."

Il s'arrêta, son visage s'adoucissant.
— "Mais ce qui m'a sauvé, ce n'était pas la connaissance. C'était l'espoir. L'idée qu'un jour, quelqu'un verrait ma valeur, non pas malgré mes défauts, mais à cause d'eux."

Ira, toujours calme, lui demanda :
— "Et maintenant ? Pourquoi afficher cette façade d'arrogance ? Pourquoi cacher cette lumière sous des traits superficiels ?"

Thorne sourit, cette fois avec une chaleur sincère.
— "Parce que le monde adore les masques, Ira. Les gens respectent ceux qui semblent invincibles, pas ceux qui saignent. Mais ce masque n'est pas un mensonge. C'est une armure. Parce qu'au fond, je crois toujours en la beauté de l'imperfection. Chaque cicatrice, chaque humiliation... tout cela m'a construit. Et je ne regrette rien."

Kael éclata de rire, rompant la gravité du moment.
— "Alors, ton arrogance, c'est juste une manière élégante de dire : 'J'ai survécu, et vous devriez m'applaudir' ?"

Thorne le regarda avec un éclat malicieux.
— "Exactement, Kael. Et si tu veux bien, commence tout de suite. Je mérite une ovation."

Oris, qui avait écouté avec un mélange de curiosité et de nervosité, bondit joyeusement.
— "D'accord, Thorne, tu gagnes. Mais je te préviens, si tu commences à réciter de la poésie, je m'enfuis dans les bois."

Alors qu'ils reprenaient leur marche, le groupe semblait plus soudé, comme si le récit de Thorne avait dissipé une barrière invisible. Rad marcha aux côtés de Thorne, son regard pensif.

— "Tu sais," dit-elle doucement, "ta lumière, Thorne, elle est unique. Et elle brille plus fort que tu ne le crois."

Il tourna la tête vers elle, un sourire sincère étirant ses lèvres.
— "Et toi, Rad. N'oublie jamais que ta lumière est plus forte que n'importe quelle ombre. Même celle qui te hante."

Leurs regards se croisèrent un instant, une compréhension tacite passant entre eux, avant qu'ils ne tournent leur attention vers l'horizon.

La quête des fragments n'était pas terminée. Mais en marchant ensemble, ils comprenaient que, parfois, ce n'était pas le but qui comptait, mais les liens qui se formaient en chemin.