13-Ils ne savent pas à propos de nous

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-Louis-

Je me sens... seul. Très seul. Ma chambre est vide. Par un incomparable effort de volonté et poussée de courage, Graham a réussi à prendre les kilos qui lui manquaient et a quitté l'hôpital hier, le seize février. Il avait appelé Joy le quatorze au soir pour lui annoncer et je crois bien ne jamais avoir vu autant de joie sur son visage. Donc ma chambre est maintenant déserte et j'en suis le seul occupant. Je vais bientôt devoir aller au réfectoire pour manger, l'heure est strict et je dois être là bas au bon moment si je ne veux pas être réprimander plus tard. Je mange maintenant. Pas autant qu'avant mais je ne rate plus de repas. C'est probablement un bon point, je vais facilement reprendre du poids comme ça. Je ne sais pas trop si je recommencerais à accepter mon apparence physique mais, au moins je ne serais plus si maigre. Je soupire en me redressant pour m'asseoir sur le bord de mon lit, les pieds ballants dans le vide. Je saute sur le sol et me mets en marche vers le réfectoire. Mes bandages sont toujours un peu douloureux. Mes plaies me grattent à un point inimaginable mais c'est bon signe, ça veux dire qu'elles cicatrisent. Je passe une main sur ma hanche où je peux sentir l'épaisse couche de bandes recouvrir ma peau.

Les repas donnés ici ne sont pas franchement meilleurs que ceux qui sont donnés à la cafeteria de la fac. Peut-être que la viande est de meilleure qualité, mais ce n'est en rien plus facile à avaler. Je fais la gueule fasse à mon plateau. D'habitude je mangeais avec Graham, mais là je suis seul. Et je dois dire que son ton posé légendaire et son humour spécial me manquent un peu. Tout ce que j'ai à porter de main comme distraction c'est les crises que tape les anorexiques qui viennent d'arriver ou les spécimens qui parlent seuls et qui ont l'air de s'en accommoder. On est beaucoup comme moi ici, à être dépressif je veux dire. J'ignore les histoire de la plupart, et vu les personnes j'ai rarement envie de savoir. Parce que si je trouvais l'histoire de Graham plus que triste alors j'allais sûrement vouloir en finir après avoir entendu celle de madame 'rideau de cheveux impénétrable' au fond de la salle. On a souvent ces sales clichés en tête qui nous disent qu'un dépressif a forcement l'air flippant ou a des allures de tueur en série. Même si la plupart du temps c'est faux, ça s'applique plutôt bien à cette fille. Elle passe son temps seule avec ses cheveux noirs mal coiffés qu'elle utilise comme un barrage faisant obstacle au monde extérieur. Elle lance des regards de tueur à n'importe qui tente de l'approcher ou lui parler. Je crois bien que même les infirmières qui l'ont en charge n'ont jamais entendu le son de sa voix. Elle parle uniquement à la psychologue, et personne ne sait ce qui a pu la plonger dans cette état de 'je repousse tout le monde' comme si elle était effrayée par quelque chose, ou par les gens.

Je la regarde du coin de l'œil avant de me re-concentré sur la nourriture en face de moi. Les gélules à avaler pour mon traitement ont l'air vraiment énormes et je me demande comment je vais faire pour les avaler sans m'étouffer. Je soupire en les avalant avec mon verre d'eau en faisant la grimace. Je tape mon sternum comme si ça pouvait les aider à passer. L'infirmière qui avait élu domicile à côté de moi en attendant que j'avale les cachets s'en va, me laissant ainsi seul devant mes idées noires. J'ai très peu parlé à la psy depuis les révélations que je lui ai fait au début du mois. Rien de bien nouveau en soit. De toutes façons il n'y a rien à dire, je me déteste et puis c'est tout. Je me hais vraiment. Je n'ai jamais été quelqu'un qui était du style à se la péter ou quoi. Je le faisais c'est vrai, plaire aux filles et tout ça c'est quand même vachement drôle. Mais je n'ai jamais étais un m'as-tu-vu qui met toujours sa petite personne en avant, non. Mais maintenant je me déteste carrément et si avant je ne trouvais rien à dire sur moi, maintenant je peux clairement dire que je suis la personne la plus détestable de l'univers et que si je disparaissais je rendrais service à de nombreuses personnes sur cette planète !

Je fais tourner ma fourchette dans mes petits pois sans la moindre envie de les manger. J'ai toujours aimé les petits pois et c'est sûrement un des légumes que je peux difficilement refuser. Mais juste penser à tout ce qui me fait chier quand je mange, ça me coupe l'appétit. J'aimerais bien sortir d'ici. Cependant, les infirmières ont à l'œil tous les cas comme moi. Les cas 'veut se laisser crever de faim' comme je les appelle. Et je sais que si je ne mange pas au moins la moitié de mon assiette, il y a peu de chance que je sorte facilement. Alors je mange une cuillère de petits pois en soupirant. Et mange même un morceau de viande en grimaçant.

Time  has passed, Forgive yourself (Larry Stylinson)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant