XII. Agression matinale

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Paul passa la nuit chez moi, décision en conséquence de laquelle je ne dormis que trois heures. Je ne savais pas si pour le reste, ça collerait entre nous sur le long terme, mais notre complicité épidermique n'était quant à elle déjà plus à prouver.

Lorsque je me réveillai, le lit était désert et l'appartement silencieux. J'enfilai un tee-shirt précipitamment: et s'il était parti? En me laissant en plan? Un coup d'un soir?

La vue de croissants dans la cuisine me rassura immédiatement. Il m'avait laissé un mot sur la table. Je vais chercher des vêtements propres chez moi. Je te rejoins ici. Paul. PS: Nabilla et Kim Kardashian se cachent sous ton canapé.

Grillée! Il avait aperçu mes magazines people.

Je passai de dimanche-là une des plus douces journées que j'avais connues. Tout semblait tellement facile et simple avec lui. Se balader, s'arrêter boire un café, discuter, rire, se prendre la main, faire l'amour ou la cuisine. Pour une fois, je ne me posais pas de question. Tout était naturel. Pas la peine de faire semblant de jouer personnage, que ce soit celui de la fille indépendante ou de celle qui ne tombe pas amoureuse.

Ce soir-là, ce que je craignais arriva: il me reparla de l'idée d'Eric à propos d'un week-end entre amis. Paul semblait emballé par l'idée. Moi beaucoup moins...

- Je ne suis pas certaine que ce soit l'idée du siècle, lui répondis-je.

- Pourquoi? Moi je pense que ça peut être très sympa!

- Ecoute, on verra. Je réfléchis et on en reparle.

Le début de notre histoire me paraissait trop magique pour le gâcher en une escapade en groupe. J'adorais me amis bien sûr, mais je connaissais aussi leurs travers, et ce ne serait pas facile de s'intégrer directement lors d'un voyage de deux jours. Il fallait y aller beaucoup plus lentement.

Il dormit encore chez moi cette nuit-là, et je commençais à cumuler une sacrée dette de sommeil.

Le lendemain, en arrivant au bureau, Maria me jeta comme à son habitude un regard mauvais, tout en consultant sa montre.

- Bonjour Maria.

Elle ne me répondit pas. Au lieu de continuer mon chemin comme chaque matin, je revins sur mes pas et me penchai soudainement sur son bureau, les deux poings en appui sur sa pile de dossiers.

- J'ai dit: bonjour Maria!

Elle semblait liquéfiée. Elle recroquevillait son petit corps maigrichon au fond de son fauteuil et me regardait avec terreur.

Me penchant un peu plus vers elle, j'insistai:

- Maria, quand on vous dit bonjour, la moindre des choses est de répondre. On recommence: bonjour Maria.

Elle émit un mince filet de voix tout chevrotant.

- Bonjour

- Plus fort, je n'ai pas entendu

- Bonjour

- Bonjour qui?

- Bonjour Maeva.

Soudain, alors que je pensai qu'elle allait avoir une attaque, Olivier arriva et m'attrapa par le bras. Il m'entraina plus loin.

- Ca va pas non? Qu'est-ce qu'il t'arrive? On n'agresse pas les gens comme ça de bon matin!

- Ca fait sept ans qu'elle me gonfle. Sept ans que je suis dans la boîte et qu'elle ne m'a jamais dit bonjour. Sept ans qu'elle me fait des réflexions à la con, sur l'heure à laquelle j'arrive, sur les cernes que j'ai ou sur le retard que je prends dans tel dossier. Aujourd'hui c'est STOP.

- OK, OK. Allez, on va prendre un café.

Pendant qu'Olivier cherchait de la monnaie pour la machine à expresso, je lui demandai s'il avait passé un bon week-end.

- Oui très bon. Mais j'ai l'impression que le tien a été encore meilleur non? Il s'est passé quoi?

- Pourquoi tu dis ça?  répondis-je avec une voix qui trahissait totalement l'assurance que je tentais de mettre dans le ton.

- Ca se voit: madame a une montée de confiance en elle -tu agresses la sorcière en arrivant au bureau! Mais surtout tu as les joues toutes roses et un rictus stupide au coin des lèvres. Raconte, c'est qui?

Je souris. Olivier me connaissait décidément très bien. Après l'avoir remercié pour cette fabuleuse description de moi, j'entrepris de tout lui raconter. Il se perdit plusieurs fois en chemin (quoi, tu veux dire le goujat de la veille qui bosse avec Marc? Des oeufs sur les pieds? Une soirée barbecue?). Il faut dire que la rapidité de l'enchainement des événements rendait un peu compliquée la narration.
Je lui demandai son opinion sur l'histoire du week-end.

- Je pense que tu as raison, c'est trop rapide.

Mon téléphone vibra: texto de Marc. "Paul adore l'idée du WE entre nous. OK pour toi aussi? ;)"

Je détestais être mise au pied du mur. J'étais furieuse.

30 StoryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant