Les larmes du crépuscule

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Mon regard se plonge dans le néant de ce miroir, j'ai l'impression que mon corps tombe de plus en, plus. Je finis par atterrir dans un palais, ce palais que j'ai fuis jadis. J'observe autour de moi, soudain une voix douce mais accusatrice brise le silence.

- Quand comptes-tu me dire la vérité, Kaelith ?

Je me fige. Face à moi se tient une femme dont les traits me sont douloureusement familiers. 

- Zaélia...

Elle avance lentement vers moi, ses yeux empreints de chagrin et de colère. Son regard m'épingle sur place, plus perçant que n'importe quelle lame.

- Que veux-tu dire ? Murmuré-je, bien que je connaisse déjà la réponse.

- Tu sais très bien ce que je veux dire, réplique-t-elle avec amertume. Tu n'es pas n'importe qui. Pas un simple vagabond, et encore moins un vulgaire chef de guilde. Et pourtant, tu lui caches tout, tu nous caches tout... à Ellie. À moi.

Je serre les poings. Je n'ai jamais voulu en arriver là, jamais voulu que la vérité éclate de cette façon.

- Ce n'est pas aussi simple, soufflé-je.

- Pas aussi simple ? Zaélia éclate d'un rire sans joie. Tu es bien trop puissant pour entrer en résonance avec elle, et tu le sais.  Tu as toujours eu ce côté de faux-semblant détaché et pourtant tu l'as suivi dans la mort.

Je détourne les yeux. Je veux parler, m'expliquer, mais les mots m'échappent. La douleur dans la voix de Zaélia me transperce comme une lance en plein cœur.

- Tu ne comprends pas, dis-je finalement. Si je lui dis la vérité, elle s'éloignera. Elle abandonnera cette quête, et je ne peux pas...

Zaélia me coupe, ses yeux brillant de larmes.

- C'est pour cela que tu ne m'as rien dit. Tu m'avais laissé espérer que nous puissions le faire ensemble. Mais tu n'as jamais trouvé le courage de m'avouer que je ne pourrais jamais rencontré un seul Esprit.

Je relève brusquement la tête. Elle renifle, sa voix se brisant.

- Toi aussi, tu m'as abandonnée. Comme tous les autres. Et maintenant, tu fais la même chose avec elle.

Je reste silencieux. Je veux lui dire qu'elle se trompe, que je n'ai jamais voulu l'abandonner, mais je sais que ce serait un mensonge. Alors je fais ce que j'ai toujours fait : je garde le silence.

Zaélia secoue la tête, des larmes roulant sur ses joues.

- Quand me diras-tu enfin la vérité, Kaelith ? Parce que moi, je mérite de savoir.

J'ouvre la bouche, mais aucun son n'en sort. Face à moi, Zaélia attend une réponse. Une vérité que je ne suis pas encore prêt à avouer. Le silence s'étire, pesant, entre Zaélia et moi. Son regard ne faiblit pas, aussi intransigeant qu'un juge prononçant un verdict. Une part de moi veut fuir encore une fois, prétendre que cette confrontation n'a jamais eu lieu, mais je sais que cela ne ferait que retarder l'inévitable.

-Tu ne peux pas comprendre, murmuré-je.

Elle fronce les sourcils, ses larmes cessant de couler, remplacées par une froide détermination.

- Alors explique-moi, Kaelith. Explique-moi pourquoi tu continues de mentir, pourquoi tu préfères jouer un rôle plutôt que de faire face à la réalité.

Mon cœur bat à tout rompre. J'ai toujours su que ce moment viendrait, mais je ne pensais pas qu'il me terrifierait autant. Inspirant profondément, je lève les yeux vers elle, captif de son regard plein d'attentes.

- Parce que je n'ai pas le choix, répondis-je finalement. Parce que si Ellie savait qui je suis vraiment, si toi aussi tu savais, vous ne me regarderiez plus jamais de la même manière.

Zaélia serre les dents.

- C'est toi qui décide ça ? De ce que nous devons penser ? De ce que nous devons ressentir ?

Elle fait un pas vers moi, et je me tends, comme si elle allait m'attaquer.

- Tu crois que je suis trop faible pour encaisser la vérité ? Que je ne suis pas digne de savoir ce que tu es vraiment ?

Je baisse la tête, incapable de soutenir son regard.

- Ce n'est pas une question de force, murmuré-je. C'est une question de protection.

Zaélia inspire brusquement, comme si mes mots venaient de la gifler.

- Tu crois me protéger en me maintenant dans l'ignorance ? Tu ne vois pas que c'est ce mensonge qui me fait le plus mal ?

Son regard s'adoucit, et lorsqu'elle parle de nouveau, sa voix est plus basse, presque suppliante.

- Kaelith... Je ne veux pas que tu portes ce fardeau seul. Pas encore. Pas comme avant.

Mon cœur se serre. Elle n'a pas tort. Mais si je lui dis tout, si je lui révèle qui je suis réellement, alors tout changera. Je perdrai ce que nous avons bâti, cette fragile illusion de normalité que j'ai essayé de préserver.

Un écho lointain résonne dans le palais, un souffle de vent glacé qui fait vaciller les torches sur les murs. Je ressens une pression sur ma poitrine, une sensation étrange qui m'enveloppe tout entier.

Zaélia fronce les sourcils.

- Kaelith ?

Mais je ne peux pas répondre. Mon corps semble s'effriter, comme du sable emporté par une brise violente. La réalité du palais se brouille, les couleurs se désaturent, les contours s'effacent.

- Non...

Zaélia tend la main vers moi, ses doigts frôlant mon bras, mais il est trop tard. L'univers autour de moi implose et je sombre dans le vide.

Mon souffle est saccadé lorsque j'ouvre les yeux.

La lumière douce du matin filtre à travers la fenêtre, baignant la pièce d'une lueur dorée. La sensation de chute s'estompe peu à peu, remplacée par le poids réconfortant des couvertures.

Je me redresse, encore troublé. Mon cœur bat violemment contre ma cage thoracique, et j'ai du mal à distinguer le rêve de la réalité.

- Kaelith ?

Je me fige.

Ellie se tient près de moi, face au miroir, me regardant avec un sourire doux, légèrement amusé.

- Tu avais l'air de faire un drôle de rêve, dit-elle en penchant la tête.

Je l'observe un instant, les échos de mon cauchemar encore présents dans mon esprit. Zaélia. Son regard plein de reproches. Ses questions sans réponses.

Mais Ellie ne sait rien. Elle ne doit rien savoir.

Alors, comme toujours, je ravale la vérité, et j'offre à Ellie un sourire faussement serein.

- Rien d'important, répondis-je. Juste un mauvais rêve.

Elle rit doucement.

- Alors, motives toi, nous avons des secrets à déterrer.

Je hoche la tête, repoussant les ombres de la nuit pour faire face à la lumière du jour.

Mais au fond de moi, je sais que ce rêve n'était pas qu'un simple songe. Il était un rappel. Un avertissement.

Et un jour, je ne pourrai plus me cacher, il faudra tout lui avouer.