14. La jumelle américaine

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Vendredi 4 mars 1988 - 1h32

Michael est plongé dans un état d'inertie, respirant lentement et sereinement. Il est le moins du monde préoccupé. Ma démangeaison d'écrire m'empêche de dormir.

« C'est dur de ne pas jouer dans la cour des grands hein? »

Cette phrase résonne dans ma tête en revenant toujours plus entêtante. Cette remarque abjecte de Tatiana est équivaut à des coups de poignard. Ne pas être grande de taille n'est pas facile pour moi. Se voir considérée comme une pubère de treize ans par mégarde pour la plupart, aussi. Même si je ne laisse rien transparaitre, je ne suis pas indifférente à cette estimation ou attribution d'âge qu'on me donne.

Quand Bill ne me mentionne par mon prénom dans une conversation et autre, il m'appelle "La Petite". Michael s'efforce de me traiter à son égal mais il pose toujours ce regard attendri sur moi, celui qu'on poserait sur une petite. C'est si réducteur et blessant pour mon égo. J'ai envie de faire subir un interrogatoire à mes hormones. Je comprendrai pourquoi ils refusent de me donner ce coup d'accélérateur qui m'aidera à grandir.

Je me souviens que l'automne précédant l'année de mon départ soudain du XXI ème siècle, je suis partie remettre à jour mes vaccins.

Ma mère a exposé mon problème de stagnation au médecin. Ce dernier a répondu comme s'il s'agissait d'un rhume: "Si tu n'es pas réglée, un pic de croissance peut survenir d'un moment à l' autre, ce n'était qu'une question de temps!"

Une question de temps, mon cul oui.. avait-je songé à l'énonciation de la conclusion.

Il a enjolivé la situation car il avait des patients impatients qui attendaient sur le grill.

S'il laissait planer le doute, ma mère lui aurait littéralement chargé dessus afin de le bombarder de questions.

J'ai fêté mes seize années d'existence, il y a plus de dix sept heures et je continue de croire que cet imbécile, n'est qu'un menteur doublé d'un naze qui ne prend jamais à l'heure ses patients.

La déshérence a fait de moi sa victime et épargné ma sœur.

En effet, mon unique sœur de deux ans mon ainée, Janna, est dotée de jolies longues jambes avec lesquelles elle jouit d'une grandeur inouïe.

Elle a toujours dégagé une aura extraordinaire par sa grâce et sa beauté. Il est difficile de croire que nous ayons un lien de parenté, tant nos différences physiques sont nombreuses.

Son visage a une forme ovale, ses yeux noirs en amande légèrement bridés lui donne un air malicieux et elle a cette tâche de naissance inratable sur la joue gauche. Loin de l'enlaidir, elle ne fait que l'embellir ; sans oublier cette bouche pulpeuse qui ferait pâlir d'envie toute les filles dépourvues de tissus adipeux dans les lèvres.

Je pourrais passer des heures entières à glorifier la beauté de ma sœur.

Malheureusement, comme beaucoup de filles aveuglées et influencées par les médias et les groupes de pairs, ma sœurs est tombée dans les travers de la vulgarité. Elle a toujours souffert d'un cruel manque de confiance en soi, elle veut plaire et se sentir aimée.

Elle se cachait quotidiennement de mes parents pour défiler en legging moulant son derrière, crop-top et basket compensées sur le chemin de l'école.

Comment je le sais? Je le sais, car il arrivait que je la vois sortir de chez sa tshoin *(1) d'amie qui porte des tisssages de vingt mètres de couleur rouge foncés. Je n'ai jamais su son nom d'ailleurs.

Au début, je ne l'avais pas reconnue. Ce n'est qu'en passant près d'elle et Rihanna Tissage Rouge De Vingt Mètres, en courant (nécessité de retardataire) que j'ai reconnu le son de sa voix.

Contraires soudésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant