Chapitre 38

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Assise dans le canapé, j'attends. J'attends. J'attends toujours. À part attendre, parfois je sursaute quand Kian hurle un peu plus fort que d'habitude sur Jc ou qu'un éclair se fait entendre car, chose que j'apprends, il ne fait pas toujours beau en Californie. Les garçons se disputent depuis une dizaine de minutes à propos de ma présence. J'ai l'impression qu'ils ne se rendent pas compte que je suis là. Ils se disputent à cause de moi, dans la pièce d'à côté, en oubliant que j'existe. La vie est belle!
J'ouvre mon sac à dos couché au pied du fauteuil et en sors mon cahier de mathématiques. Je m'apprête à répondre au premier exercice quand le silence apparaît enfin dans la maison. Plus de cris. Plus rien.
Kian: Qu'est-ce que tu fais?
Je lui tends mon index gauche pour lui faire mine de se taire, le temps que je puisse noter la réponse d'un des calculs algébriques auquel je n'aurai certainement pas envie de retrouver une seconde fois le résultat.
Je redresse ma tête et l'aperçois les bras écartés et la bouche ouverte. Il se demande ce que je fous en ce moment or que je devrais parler avec lui puisqu'on l'y force. Et bien, je passe le temps. Je prends un air sarcastique et insistant.
Moi: On est lundi. J'ai seize ans. Lycéenne aussi et, j'ai des professeurs, des tas de professeurs. Évidemment, ce sont d'adorables connards. Entant que professeurs, ils se permettent de nous donner des devoirs, ce qui est anormal, je trouve. Et nous! Pauvres lycéens, nous exécutons pour éviter devoirs supplémentaires, quand on a du temps libre, ou qu'on s'ennuie par exemple. Bien qu'ici on s'éclate! Je ne dis pas le contraire. C'est juste que... Chacun son point de vue...
Kian: Merci. Cela dit, le roman n'était pas nécessaire.
Je lui lance un regard noir. Mais je le félicite déjà d'au moins avoir accepter de m'adresser la parole, c'est un début. Jc à ses côtés, lui donne discrètement un coup de coude dans le ventre avant de sortir de la pièce pour nous laisser seuls.
Kian s'installe sur le fauteuil face à moi. Je dépose mon crayon dans mon cahier et le referme avant de le ranger dans mon sac.
Moi: J'écoute.
Kian: De quoi tu parles?
Moi: Nier les faits? Mauvaise solution. Si tu n'as rien à dire, je peux y aller dans ce cas, mon devoir de math ne va pas se faire tout seul.
Kian: Tu comptes rentrer à Westmont à pieds?
Moi: À cheval, en trottinette, en hélicoptère ou en voiture, je m'en balance. Du moment que je sors d'ici.
Je ramasse mon sac et me lève pour me diriger jusqu'à la porte d'entrée.
Kian: Putain...
Il s'avance et s'appuie contre la porte.
Moi: Laisse moi sortir.
Kian: J'ai parié avec Jc que tu resterais au moins trente minutes. Je tiens à mon fric.
Moi: Tu te rends comptes de ce que tu dis? De toute façon, je ne peux et ne veux pas rester.
J'attrape la poignée de la porte et l'entre-ouvre. Une rafale de vent l'ouvre entièrement et le froid et la pluie pénètre dans le hall d'entrée.
Kian: Maggie! C'est bon, désolé!
Moi: T'aurais pas du me parler du pari. À plus tard.
Il m'attrape le bras et referme un peu la porte pour arrêter le mauvais temps d'entrer, je tente de me dégager mais il ressert sa poigne.
Moi: Kian! Lâche moi!
Kian: Putain! Mais si ce que tu veux entendre c'est "désolé", voilà! Je te le dis, désolé!
Moi: Mais lâche moi Kian! Tu fais chier! Tu m'énerves, ton caractère m'énerve, tout chez toi m'énerve! J'en peux plus!
Je me dégage brusquement de sa poigne et réouvre grand la porte pour ensuite dévaler les escaliers du porche de sa maison. Il me suit dans les escaliers et une fois que je me retrouve en bas de ceux-ci, Kian grogne. Pas un grognement qui dit "Mais Maggie, t'es chiante", un grognement de douleur. Je me tourne, effrayée sachant ce qui arrive, pour le voir glisser d'une marche et continuer de les descendre en roulant sur lui même.
Moi: Kian!
Je me rue vers lui pour essayer d'amortir son atterrissage. Je m'agenouille à ses côtés et pose une main sur sa nuque pour le redresser. Il saigne. Il saigne partout. Je crie, horrifiée.
Moi: Jc! Jc! Joseph! Venez m'aider!
La pluie, cette pluie de merde continue de s'abattre sur nous pendant que je porte le visage de Kian jusqu'à mon corps pour le protéger de cette pétasse.
Moi: Kian? Kian, dis quelque chose.
Je pleure. Pourquoi ne répond-il pas?
Moi: Jc putain! Appelle les urgences! Jc!
Il débarque enfin au bout de cinq minutes accompagné de Joseph. L'expression de leurs visage changent radicalement quand ils voient Kian inactif dans mes bras.
Moi: Appelle les urgences! Il a glissé, je sais pas si... Dépêche toi!
Je ne connais pas les aides de premiers secours. Je pose ma main sur son cœur pour me rassurer. Il bat. Une lueur de soulagement s'empare de moi. Je passe délicatement la manche de mon pull sur une des plus graves blessures qu'il a au crâne pour éponger son sang. Ça ne sert à rien. Une nouvelle vague de stresse m'empare.
Joseph est au téléphone, Jc m'apporte des serviettes et un parapluie pour tenter de nous sécher.
Dis minutes de stress permanente plus tard, une camionnette d'ambulance débarque.
***
Moi: Pourquoi on ne pourrait pas le voir?! C'est moi qui ai appelé! Sa famille n'est même pas en Californie! Laissez moi entrer maintenant!
L'infirmier: Sa famille a été contactée, elle ne va plus tarder. Je ne peux pas vous laisser le voir.
Moi: Dans dix jours? Sa famille vit à l'autre bout des États Unis! Je vous jure que...
Jc pose une main sur mon épaule et m'attire vers lui pour me calmer. L'infirmier souffle de soulagement et s'éloigne.
Jc: Maggie, calme toi. On pourra pas entrer tant qu'il ne va pas mieux de toute façon.
Moi: Mais ils ne peuvent pas nous empêcher de le voir! Joseph? T'es d'accord avec moi, non?
Joseph: Je suis d'accord avec toi, mais on ne peut rien faire.
Jc: Il a raison, il faut attendre.
Moi: Mais Jc... S'il lui arrive quelque chose? Il ne peut pas mourir maintenant or que la dernière chose que je lui ai dites était que je n'en pouvais plus de lui.
Je me remets à pleurer, la tête sur son épaule.
Jc: Ce n'est peut être rien. Après tout, ce n'était qu'une chute dans des escaliers.
Une chute dans des escaliers, c'est tout. Une simple chute dans des escaliers qui a déjà entraîné des millions de personnes dans le fond d'un putain de cimetière pour personnes mortes dans des escaliers! Il faut que je le vois.
Moi: J'ai un plan.
Le visage de Joseph se crispe.
Joseph: Maggie...
Moi: Je vous en prie!
Après quelques hésitations, les garçons hochent tous deux finalement la tête.
Moi: Jc, tu fais diversion. Tout ce que tu veux! Étouffe toi, perds les eaux, tu as quartier libre. Joseph, viens avec moi. Il y a deux ascenseurs, un au début, l'autre au fond du couloir, on descends par celui du début, et on remonte par celui du fond pendant que Jc distrait les infirmiers et les éloignent vers le premier ascenseur à l'avant. Pendant ce temps Joseph et moi, on va jusqu'à la chambre de Kian par l'endroit où les infirmiers ne seront normalement pas là, ou du moins, occupés à autre chose. Compris?
Joseph prend un air sarcastique.
Joseph: Tu as vu ça dans quel film?
Moi: Pas besoin d'être le réalisateur d'un film d'espionnage pour savoir échafauder un simple plan d'infiltration dans une chambre d'hôpital, avec pour seuls ennemis sept infirmiers aux alentours.
Joseph: Tu as un casier judiciaire?
Normalement, j'aurais rit. Mais pas le temps, il faut que je vois Kian.
Moi: Non. Garde ton portable allumé, c'est lui le signal.
Je lance à Jc avant de me diriger à l'ascenseur prévu accompagnée de Joseph.
Jc: Mais.. Qu'est-ce que je dois faire au juste?

Une fois à l'étage d'en dessous, je presse le pas pour atteindre le second ascenseur.
Joseph: Tu dois vraiment l'aimer au fond.
Moi: Il y a à peine une heure, je le détestais. Kian est un vrai con, mais c'est vrai que je tiens à lui.
Joseph: Je vois ça.
Nous entrons dans la phase deux du plan, le signal. Pendant que nous montons à l'étage précédent, j'envoie un sms à Jc.

~ Conversation sms~
Moi: Il est temps d'user de tes talents d'acteur. Tu as autorisation de perdre les eaux, maintenant!

Phase trois. Nous sortons de l'ascenseur.
Moi: Ça marche!
Trois infirmiers s'occupent de Jc et l'emmènent sur un brancard dans une salle loin de nous. Les autres fouillent dans leurs paperasses où s'occupent d'autres patients.
Moi: On y va.
Nous marchons rapidement jusqu'à sa chambre et j'appuie sur la poignée.

Moi: Oh mon dieu! Kian!
Je m'approche de lui, les yeux humides, près à faire jaillir des torrents d'eau.
Moi: En effet, ce n'était qu'une chute dans des escaliers!
Joseph pose une main sur mon épaule pour me consoler. Je tourne la tête vers une petite table au coin de la pièce sur laquelle est posé un dossier.

Kian Lawley
02/09/2015
Coma stade 1
Le patient est capable de répondre à des stimuli douloureux en communiquant de manière simple (grognements). Il ne peut cependant pas réagir avec ses membres.

J'arrache la feuille du dossier et la prends dans mes mains avant de la lancer au visage de Joseph.
Moi: Qu'une chute dans des escaliers?! Qu'une putain de petite chute dans les escaliers!
Son expression se décompose. Je m'effondre par terre et mes larmes me brûlent le visage.
Une médecin: Qu'est-ce que vous faites là? Sortez d'ici tout de suite!
Elle appelle deux infirmiers chargés de nous mettre dehors. Un homme musclé s'approche de moi et me soulève. Je hurle.
Moi: Lâchez moi! Lâchez moi! Je vous en prie!
Je m'accroche à la table de nuit à côté du lit de Kian, mais ma main glisse. Elle frôle rapidement celle de Kian, inapte sur ses draps. Elle est gelée.
Moi: Je dois rester avec lui! Je vous en prie!
Il me tire de force jusqu'à la sortie et me claque la porte au nez. Je tape sur la porte pour me défouler.
Moi: Bande de trous du cul! Allez vous faire foutre! Sales enfoirés!
Jc court vers moi, en me fixant d'un air inquiet.
Jc: Hey! Hey! Hey! Stop! Calme toi Maggie.
Je m'effondre une seconde fois en glissant contre la parois de la porte.
Jc et Joseph s'installent de part et d'autre de moi. Je prends la parole après quelques reniflements.
Moi: Il va crever. Il va crever et tout ça, c'est de ma faute!
Je m'essuie le visage du revers de ma manche toujours pleine du sang de Kian que j'avais épongé de son front. Je passe mes doigts sur ma joue. Ils sont rouges. Que je suis conne.
Jc: Il ne va pas mourir.
Moi: Il est dans le coma.
Je me lève et me dirige vers les sanitaires des femmes pour me nettoyer le visage sans même me rendre compte que les yeux de son meilleur ami se remplissent de larmes.

Le sang ruisselle sur ma joue et coule dans l'évier. Je redresse la tête et me regarde dans le miroir. Les yeux plus gonflés que jamais, le nez rouge, les cheveux ébouriffés, si pas arrachés, je suis officiellement plus triste que toutes les fois où j'ai versé toutes les larmes de mon corps pour quelconques raisons réunies, et il y en a eu pas mal. Je ne suis pas triste. Je suis en colère, contre moi même, contre ses infirmiers, contre tous mes problèmes nulles d'adolescente nulle. Je suis inquiète pour Kian. J'ai peur, de le perdre, de perdre Annie, ou Nash, ou Rachel ou n'importe qui à cause de moi et de la merde que je sème partout. Je veux rentrer chez moi. Oublier ce voyage qui n'a fait que me détruire intérieurement.
Jc débarque dans les toilettes dames essoufflé. Il fronce les sourcils et baisse la tête. J'aperçois des larmes scintiller sur ses joues grâce à la lumière des néons au dessus de nous.
Jc: Ils l'ont emmenés en soins intensifs.
Je me laisse tomber sur mes genoux et le reste de mon corps se jette sur le sol. Ce n'est pas réel. Ça ne peut pas l'être.

LuckyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant