Chapitre 15

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Rien. Je ne sentis rien. Aucune douleur ne me prit pour m'assommer au sol. Aucune goutte de sang ne coula de ma peau, pour me vider de ce liquide rouge portant la vie avec lui. Aucun gémissement ne sortit de ma bouche, comme un au revoir au monde que j'allais quitter. Aucun pleur déchirant accompagné de larmes ne se manifesta. Non, rien de tout ceci ne se produisit. J'étais toujours là, à sentir le mouvement des lèvres d'Ella sur les miennes, et mon torse emprisonnant le sien.

Je me rendais compte de l'endroit où nous nous trouvions : le coin dissimulé derrière ce mur, protégé de tous regards. Je n'avais jamais voulu être caché. Je voulais me montrer, assumer mon choix, mes actes. Je comprenais désormais ce silence. Je n'entendais aucun cri de protestation, d'indignation de la part des étudiants choqués. Et désormais je savais pourquoi.

Pourtant, le frère d'Ella aurait pu me retrouver. Il travaillait au gouvernement, et pouvait à tout moment allait consulter les appareils de pistage, qui indiquaient mon emplacement. Alors, pourquoi donc n'était-il pas là ? Pourquoi ne me mettait-il pas en joue en ce moment même ? Je me trouvais au milieu de centaines de pièces de puzzle sans pouvoir les assembler, sans pouvoir trouver des paires. Et je ne découvrirais sans doute jamais l'image finale de ce puzzle, ce qu'il représentait en fin de compte. Le mystère noyait souvent nos questionnements sous une brume épaisse, où nos regards se perdaient dans cet espace aussi vaste que l'infini.

Mais la joie d'être toujours au côté d'Ella, à l'enlacer, à sentir son doux parfum, effaça toute idée suicidaire de mon esprit. J'allais pouvoir rester à ses côtés et l'aimer jusqu'à ma mort. Et j'allais également en fin de journée retrouver Lynn, et dans quelques jours ma mère. Rien que cela, fit bondir mon cœur dans ma poitrine, avec une telle force qu'il faillit se décrocher. Je me rendais compte à quel point ces personnes comptaient pour moi. Sans elle, je n'étais rien. Leur amour rendait ma vie possible sur cette Terre. Elle nourrissait mon cœur qui n'était autre que l'objet essentiel de ma vie, de mes battements de cœur, de mon souffle, de mon air. Plus jamais, je ne les quitterai.

- Je te comprends. J'ai dû te manquer, c'est ça ? me lança Ella, entre deux souffles saccadés, causé par le baiser.

Je ris. Si seulement elle savait. Je préférai qu'elle pense cela. C'était tellement plus romantique.

- Oui, c'est ça. Je devais te revoir, souris-je en enroulant une mèche de ses cheveux autour de mes doigts, tu sais bien que je pourrais me jeter par la fenêtre de ma chambre si mon quota de baisers et d'amour de ta part n'est pas atteint en fin de journée.

- Je le sais bien. C'est pour cela que je me suis laissé faire. En cas normal, je t'aurai foutu une belle gifle ou un coup de pied dans les côtes. Théoriquement, ça aurait dû faire mal.

Nos rires se mêlèrent dans le vent. Il était bon d'extérioriser nos joies, nos petits moments de bonheur que nous avions découvert lors d'une balade vers le pays des vives allégresses. Cette montée d'adrénaline me parcourut, et je ne pus m'empêcher de soulever Ella, et de la prendre contre moi. J'avais presque envie de hurler à travers toute la ville et par-dessus le Mur Noir, qui nous emprisonnait dans cet endroit depuis des années. J'avais envie de crier sur tous les toits que j'étais vivant, que j'étais auprès de celle que j'aime, et que ma vie avait encore une longue route à faire. Une route que j'étais enfin prêt à prendre, avec Ella et ma famille derrière moi, pour me pousser plus loin à chaque fois que je trébucherai.

- Mon frère doit me chercher à l'heure qu'il est, déclara enfin Ella, en regardant au loin.

- Tu lui diras qu'un professeur t'expliquait une leçon que tu avais mal comprise pendant le cours ou une excuse dans le même style...

- Pourquoi pas, m'affirma-t-elle.

Les jambes d'Ella contournant ma taille, je lui effleurai tendrement le cou de plusieurs baisers.

RéclusionnaireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant