Chapitre 3

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Je ne savais pas vraiment quoi faire. Mes mains se levèrent instinctivement, toutes tremblantes, sans que je ne puisse véritablement en décider. Ma sœur les avait plaquées sur sa bouche, s'efforçant de ne pas hurler dans toute la forêt. L'angoisse et la peur provoquaient des spasmes un peu partout sur son corps.

L'homme en question portait le même uniforme militaire que mon père, teinté d'un blanc nacré, recouvert de tâche d'un rouge fade. Au dos était plaqué le symbole de Neal Town. Une casquette d'un rouge plus vif était également disposée sur son crâne rasé, la visière en arrière, prouvant qu'il était en jour de congé. En camp militaire, les chefs ne permettraient pas cet usage de la casquette.

- Qu'est que vous foutez là, les jeunots ? nous demanda-t-il d'une voix rauque, en baissant doucement son fusil enclenché.

- On vous retourne la question, lança ma sœur, d'une voix mal assurée.

Il nous dévisagea perplexe.

- La forêt est en accès interdit depuis plus de deux semaines, nous informa-t-il, d'un ton solennel.

- Pourquoi ? demandai-je.

- Cela ne vous regarde pas. Je vous demande simplement de vous en aller. La caserne a eu l'obligeance de protéger l'endroit. Un militaire devait placarder des affiches et des panneaux d'interdiction depuis déjà une bonne une semaine, mais il n'a absolument pas bougé le petit doigt. J'ai donc eu l'honneur de recevoir sa tâche inachevée, et en arrivant ici, je vous ai entendu.

On lui lança des regards perdus. Pourquoi la seule et unique forêt de Neal Town devait être fermée ? Je ne comprenais pas. Vraiment pas.

- Nous comprenons, dit Lynn, d'une voix presque inaudible.

Elle prit ses affaires, et me chuchota d'en faire autant. Je remettais mon sac de cours sur le dos et suivais ma sœur sur le sentier.

- Tu as les mêmes yeux que ton père, me dit le militaire tout sourire.

Lynn se rapprocha brusquement de lui, en ne laissant plus que quelques centimètres les distancer.

- Qu'avez-vous dit ? Vous connaissiez notre père ?

- Nous faisions partie de la même brigade et je partageais le même dortoir que le sien. Nous nous entendions plutôt bien. À vrai dire, il m'avait pris sous son aile, alors que je ne faisais que débarquer à la caserne à l'époque.

On resta bouche bée devant cet homme énigmatique, nous mettant en joue quelques minutes plus tôt. Tout se bousculait dans ma tête, trop d'informations se secouaient. Un ami de mon père ? Je ne l'avais pas vu aux obsèques. Mais peut-être que je n'y avais pas non plus fait attention ce jour-là. Les larmes m'avaient à peine permis de distinguer ma sœur et de ma mère.

Cependant, je savais qu'il disait la vérité. Sous ses airs sérieux, se cachait un homme robuste d'une trentaine d'années, gardant encore, au plus profond de lui, cette naïveté enfantine. Personne n'aurait assuré connaître mon père sans l'avoir un jour connu. Il était bien trop important aux yeux des gens. Il avait permis le bonheur autour de lui, alors pourquoi lui en vouloir, pourquoi mentir ?

Lynn parut évasive quelques instant, puis finit par demander d'un ton ferme :

- Comment est-t-il mort ?

Celui-ci soutint son regard, et sembla réfléchir à sa réponse. Une réponse qui allait être aussi vague que celle de ma mère, j'en avais la certitude. Et je trouvais ça de plus en plus étrange. Pourquoi nous cacher la vérité ? Ce serait la moindre de choses, pour mon père, pour lui laisser une mort des plus belles.

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