Prologue

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- Ca va ?

- Mieux...

Ma sœur entrelaça ses doigts autour des miens. Cela me rassurait et une chaleur apaisante m'enveloppa aussitôt. C'était une des seules personnes à qui je pouvais me confier ou faire confiance, désormais. Depuis que j'étais tout petit, elle s'était occupée de moi pendant que mes parents partaient pendant de longues journées ou semaines, sans nouvelles, sans signes de vie. Mes souvenirs peuvent encore puiser assez loin dans le temps, pour me rappeler ces moments où je questionnais ma sœur inlassablement pour savoir quand donc mes parents reviendraient. Elle ne savait que répondre, et je m'en veux désormais de l'avoir mise dans une situation comme celle-ci, sans issue de sortie.

On avança lentement, main dans la main, vers le cercueil qui trônait en majesté plus loin. Un corps blafard, sans vie, au visage éteint, aux paupières fermées à jamais, s'étendait sur un drap blanc recouvert de diverses variétés de fleurs aux couleurs vives, rapportant un peu de gaieté au cercueil de bois.

- Coucou papa, chuchota ma sœur, en effleurant les doigts de mon père, j'espère que tout ira bien là où tu te trouves en ce moment. Nous, on essaiera. On fera notre possible pour tenir le coup. Promis.

J'éclatai en sanglots dans les bras de ma sœur. Je ne pouvais assister plus longtemps à ce spectacle. Elle me serra contre elle. Ses cheveux blonds ondulaient sur mes épaules, et son long nez aquilin reposait sur ma tête. Je sentais avec plaisir son odeur familière, me rappelant certains souvenirs d'autrefois. Mes larmes coulaient tout le long de mon visage, mouillant mes joues et le pull bleu de ma sœur. Je reniflai bruyamment.

- Allez Derek, reprends-toi ! Ne montre pas ta faiblesse devant tant de monde, il se pourrait que ça parvienne aux oreilles de notre dirigeant, murmura-t-elle dans mes oreilles.

- J'essaie Lynn, j'essaie, lui répondis-je tout bas, en essuyant mes yeux encore imbibés d'eau.

Elle m'observa de ses yeux bleus éclatants, aussi purs que du cristal, et aussi doux que du coton. Son teint pâle faisait ressortir ses deux cristaux bleus. Je ne pouvais vivre sans elle. J'avais déjà dix-sept ans, mais vivre sans ma sœur m'était impossible. Ma mère, elle, était constamment absente. Son métier ne lui permettait pas de rester plus de trois jours chez elle, sans qu'elle ne travaille le reste de la semaine. Elle était infirmière. Ici, à Neal Town, chaque métier devait s'effectuer en moyenne cinq jours. Cinq jours de travail acharné, en n'ayant aucunement l'autorisation de retourner chez soi. Les employés se reposaient dans une seule et unique salle, tous entassés, pendant de longues nuits solitaires, sans leurs enfants ou leurs proches. C'était la règle. Notre dirigeant, Neal Lewis disait que chaque travail était un investissement tout d'abord personnel, puis social et qui devait être continu. Mais pour moi, c'était horrible. Injuste. Je ne pouvais la voir que deux jours par semaine, et encore.

Mon père, lui, était dans l'armée et il ne pouvait venir nous rejoindre qu'un jour par semaine. « Sauver des vies, instaurer l'ordre avant ses proches », tel était sa règle à suivre. Quelques jours auparavant, il avait reçu une balle dans le torse, mais la fatigue avait aussi joué un rôle majeur dans sa mort. Les gens ne pouvaient vivre très longtemps avec ce style de vie. Ils se tuaient à la tâche, et ils ne pouvaient s'y opposer.

Neal Lewis était notre maire, mais il préférait se caractériser de « dirigeant ». Le définir de maire avait les mêmes conséquences qu'une insulte, la pire qu'il soit. Cela méritait plusieurs années de prison, tout comme le critiquer. Ce n'est pas le premier à être ainsi, il y en eut plusieurs, de père en fils, pendant déjà de nombreux siècles. Chaque fois que l'un d'eux prenait la relève de diriger cette ville, il en changeait le nom de la commune, qui prenait aussitôt son prénom. Cela pourrait expliquer le nom de « Neal Town ».

Nous avions aussi des bracelets aux poignets, mis à notre naissance, chacun ayant subi une installation d'un logiciel de pistage qui permettait de nous suivre à la trace. Il était impossible de l'enlever, ce bracelet était comme notre deuxième peau. Et si par malheur quelqu'un y parvenait, il serait très vite repéré et allait vivre le reste de son existence en prison. Tout le groupe politique qui était au gouvernement nous espionnait, afin que nous ne puissions pas nous échapper. Nous étions comme prisonniers de cette ville. Bien entendu, personne ne connaissait l'existence de cet un endroit. Je commençais de jour en jour, à ne plus supporter de rester coincé dans cette ville fantôme, effacé de la carte d'Amérique.

***

- Nous devons rester soudés, et fort face à cet événement qui nous a bouleversés et qui restera gravé dans nos cœurs pour un bon moment. Stuart était un homme bien et brave. Il a sauvé tellement de vie et a tellement fait pour notre société, que lui rendre cet hommage était la moindre des choses, afin de le remercier pour toutes ces choses qu'il a pu faire pour chacun de nous. J'insiste pour que vous le gardiez tous très longtemps dans vos mémoires, sanglota ma mère, le micro à quelques centimètres de sa bouche, devant toute ma famille et les amis de mon père.

Ma mère se retira et alla s'asseoir près de moi, encore les larmes aux yeux. Elle me prit contre elle. J'étais pour ma mère, comme ma sœur pour moi. Lynn aussi l'aidait beaucoup en ces périodes dures à vaincre seuls. Nous nous entraidions, liés par une force incroyable. Chacun séchait les larmes de l'autre. Je me mis à pleurer également, la énième fois de la journée. Tandis qu'une petite voix résonnait dans ma tête, me disant qu'il y aurait des choses bien plus douloureuses à affronter dans ma vie, mais je ne voulais pas l'écouter. Il n'y aura jamais quelque chose de pire que de perdre mon père, de ne plus jamais le revoir, de ne plus jamais lui parler, de ne plus jamais entendre sa voix, son rire...

A la sortie des obsèques de mon père, le bracelet de ma mère produisit un son suraigu et une lumière rouge clignota pendant un bon moment.

- Oh, je dois vous laisser les enfants. Lynn, prends bien soin de ton frère. A bientôt, et restez fort. Je vous aime, nous dit-elle encore les larmes aux yeux, avant de s'en aller en direction de sa voiture garée un peu plus loin.

Ma sœur me prit par l'épaule et l'on continua la route vers notre bon vieux foyer. La cheminée était restée allumée, produisant une flamme rouge vif, se voyant à travers la fenêtre floue recouverte de buée. Ma sœur sortit ses clés et ouvrit la porte. Une chaleur presque étouffante s'échappa de l'intérieur.

- Bon, je vais préparer le dîner. Que veux-tu ?

- Je n'ai pas très faim, lui dis-je d'un ton las.

- Oui, moi non plus. Et si on allait s'asseoir sur le canapé, manger quelques tartines, en regardant nos anciens albums photos ? me dit-elle soudain, en observant mon air maussade, je suis sûre que papa serait fier de nous.

RéclusionnaireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant