Chapitre 4

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Cette nuit-là, mon père n'avait pas hanté mon esprit. Au contraire. Il n'était plus là, les jambes et le buste séparaient à me répéter sans cesse « tu n'es plus mon fils... tu m'as tué... ». Il était déjà rare que j'atterrisse dans des champs emplis de tournesols, en train de le dévisager passionnément. Mais il était pour moi impossible, depuis l'accident, de me réveiller sans aucun souvenir de mon escapade à travers mon subconscient. À mon réveil, j'étais souvent horrifié, tremblant de tous mes membres, ou nostalgique et à moitié dépressif. Mais, jamais tranquille et serein. Pourtant, c'est ce qui se produisit.

Je m'étirais et bâillais aux corneilles, comme lors de ces réveils d'autrefois, à attendre les pas de mon père résonner dans les escaliers. Je me frottais les yeux, ne me permettant qu'une vision floue, et me levais tranquillement d'une allure nonchalante. Ce n'est qu'en m'apercevant de l'autre côté de la glace de ma chambre, vêtu d'un simple short trop large, que je pus me rendre compte que j'étais bel bien sorti de mon sommeil. J'étais là, en chair en os, normal et apaisé. Un matin banal pour un adolescent banal. Quoi de mieux pour débuter une journée ?

Restant toujours abasourdi devant le miroir, je passais la main dans mes cheveux ébouriffés puis allais rabattre la fenêtre, afin d'aérer ma chambre. Mon torse nu se recouvrit de chair de poule, de même que pour mes bras, frissonnant sous la brise matinale. Je m'habillais, tout en grelottant et en essayant de me protéger au plus vite de cet air glacial. Mon habituel uniforme et ses souliers vernis. L'odeur parfumée des adoucissants et des lessives embaumait mes narines. Je me demandais bien comment ma mère pouvait encore trouver le temps de nettoyer nos vêtements sales, après le travail acharné qu'elle fournissait à l'hôpital.

Comme à leurs habitudes, nos bracelets émirent leurs clignotements rouges quelques minutes plus tard, pour de nous avertir qu'il nous restait peu de temps pour arriver à l'heure en cours. Les Wellington n'étaient pas faits pour arriver à l'heure. Lynn se précipita dans toute la maison, fouilla dans ses meubles pour trouver un dernier cahier égaré et s'empressa de sortir pour me rejoindre en direction du bahut. Tout ce qu'il y avait de plus routinier. Et c'est ce que j'aimais. Cela prouvait que la vie recommençait. Nous commencions tous à faire notre deuil, à nous résigner enfin, progressivement, avec le temps.

Il n'y avait rien de plus beau que la routine quotidienne.

***

Une purée verdâtre, probablement périmée de plusieurs jours, des patates mal épluchées et une sauce pâteuse restant accroché à ma fourchette, se trouvait devant moi, posés sur mon plateau. Ma sœur essayait vainement d'avaler une bouchée, ce qui était déjà un exploit. La cafétéria de l'établissement scolaire de Neal Town produisait probablement la nourriture la plus infecte de toute la ville, ou même à des kilomètres aux alentours, au-delà du Mur Noir. Plusieurs élèves se retrouvaient malades à cause de ces plats, préparés par des femmes fauchées, faisant ce bouleau uniquement pour des raisons financières. Si la moitié des élèves se retrouvaient à l'hôpital pour la nourriture ingurgitée à l'école, elles n'en auraient rien à faire. Tout comme Mr. Bradford. Il en serait même heureux.

Je plaquai ma serviette en papier sur ma bouche, et recrachai tout ce que j'avais pu avaler de ce plat. Il m'était impossible de manger ce genre de « choses ». Ma sœur fouilla dans son sac et me servit un muffin qu'elle avait préparé comme à son habitude, au cas où nous serions affamés et qu'il n'y aurait rien à d'autre manger à part le poison de cette cafétéria. Et c'est ce qui se produisait tous les midis. Il était assez rare que nous vidions la moitié de nos assiettes. Peut-être une fois, quand cette nouvelle cuisinière avait fait son entrée dans l'établissement et avait par malheur préparait des frites et des pizzas toute la semaine. Mais elle fut vite renvoyée. Il fallait des légumes dans chaque plat, et les portions de frites étaient réduites à une fois par mois. Alors quand une employée se permettait ce genre de liberté, il était clair qu'elle ne pouvait pas faire long feu. Surtout ici.

RéclusionnaireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant