Après que le repas se soit déroulé dans une ambiance joyeuse et détendue, nous avons décidé de faire des jeux de société, ces boîtes en carton qui renferment des possibilités infinies d'amusement et qui ne sont pourtant jamais ouvertes. Attachées à la tradition, nous commençons avec un Monopoly : mais ce genre de jeu n'a jamais de fin et je me rends rapidement compte qu'il est déjà minuit passé. Nous décidons alors de compter le nombre de billets que nous avons, afin de déterminer la gagnante : étrangement, c'est Rachel qui gagne haut la main, tandis qu'Isabelle et moi contemplons nos maigres économies. Une idée de génie me traverse l'esprit :
"Je propose que la vainqueure range !"
Sans même laisser le temps à ma soeur de contester, je quitte déjà la table de la salle à manger tandis qu'Isabelle part s'occuper de la vaisselle. Après maintes supplications de sa part, je décide d'aider Rachel. Une fois le jeu rangé, Isabelle nous annonce qu'elle part se coucher et que, si jamais, nous décidions de ne pas dormir tout de suite, nous ne devrions pas être bruyantes. Acquiesant toutes les deux, nous éteignons les lumières et montons à l'étage.
Une fois arrivées en haut, je m'apprête à aller dans ma chambre et Rachel dans la sienne. Cependant, ma conscience intervient et m'empêche de faire un pas de plus : je veux rester avec elle. Je veux profiter de notre premier Noël ensemble. Sans aucune réflexion, je me retourne rapidement mais mes mots restent coincés dans ma gorge lorsque je me rends compte que ma soeur a eu exactement le même réflexe que moi : nous nous retrouvons face à face, la bouche entrouverte, sur le point de parler. Ma fierté est partie se pendre : cette situation est de loin la plus comique et la plus gênante que j'ai eu à vivre jusqu'à présent. Sans pouvoir me contrôler, je me mets à rire, en dépit d'une raison apparente. Rachel ne se contient pas longtemps et finit par rire avec moi. Nous devons avoir l'air de deux personnes aux troubles mentaux sévères, mais le fait de partager ce moment, aussi stupide soit-il, avec elle, me rend plus heureuse que jamais. Au final, nous reprenons notre souffle, avant de se regarder. Assurément, je ne veux pas aller dormir maintenant, je ne veux pas la laisser retourner dans sa chambre : je veux juste qu'elle reste avec moi, ne serait-ce que dix minutes de plus. Je m'avance alors vers elle et lui demande :
"Si tu n'es pas trop fatiguée.. Ca te dit de regarder un film dans ma chambre ?"
Après réflexion, le "dans ma chambre" ressemblait beaucoup trop à un sous-entendu pervers. Ma conscience réapparait et me giffle une énième fois.
Rachel baisse timidement les yeux et je dois tendre l'oreille pour entendre sa réponse :
"Oui.. Avec plaisir.."
Que quelqu'un l'arrête : être aussi adorable devrait être interdit pas la loi. Oui, ceci est une idée idiote et discriminatoire.
J'ouvre la porte de ma chambre, la laissant entrer en premier : je peux parfaitement voler les principes de la galanterie, même en étant une fille et même si je suis la seule à l'avoir décréter. Je la laisse s'installer confortablement sur mon lit tandis que j'allume l'ordinateur portable : nous n'échangeons aucune parole mais le silence qui règne n'est pas désagréable. Une fois notre "télévision improvisée" prête, je la rejoins et lance le film : nous avons décidé de regarder Jurassic Park, vu que c'est un classique mais qu'aucune d'entre nous ne l'avait déjà vu auparavant. L'ancienneté des images et la qualité des moyens cinématographiques nous permettent d'échanger de multiples commentaires tandis que le film commence. Puis, le silence revient et plusieurs minutes passent. L'écran de l'ordinateur indique, dans un coin à droite, "01h26". Je songe au fait que l'on ne risque pas de se lever tôt demain, avant de me reconcentrer sur un dinosaure, déjà occupé à dévorer quelqu'un.
Soudain, je sens que l'on m'aggrippe le bras droit, de manière peu délicate, ce qui provoque le soubresaut de mon ensemble corporel. Je remarque alors que c'est Rachel qui s'accroche à moi, terrifiée par une sorte de Diplodocus cannibal et pestiféré. Comment se fait-il que je ne l'ai pas vu venir, lui..? Un rapide coup d'oeil à l'heure et j'obtiens ma réponse : il est deux heures du matin. J'en conclus donc que je me suis endormie sans le savoir. Ma soeur se colle un peu plus à moi, effrayée par les événements du film, et je remercie silencieusement le réalisateur : j'arrive à profiter de sa présence à mes côtés ainsi que respirer le parfum qui se dégage de ses cheveux, sans même qu'elle ne s'en rende compte. Serait-ce la magie de Noël ? Tandis que je bave intérieurement en profitant de l'instant présent, je la sens tressaillir : un T-rex vient d'apparaître de nulle part et Rachel en a profité pour se cacher dans la couverture. Je retiens un fou rire : comment une divinité pareille peut-elle être effrayée devant des dinosaures en 2D ? Mettant le film sur pause tout en me mordant la lèvre inférieure pour ne pas rire, je la prends dans mes bras et tente de la rassurer :
"Tu sais, c'est qu'un film hein."
Je la sens trembler contre moi, ce qui m'inquiète tout de même un peu. Elle décide enfin de relever la tête, puis plonge son regard appeuré dans le mien :
"Mais ils me font peur..."
J'hésite entre la moquerie mesquine, la surdose d'affection devant cette réplique adorable ou l'écoulement sanguin par le nez. Honnêtement, je pense que mon organisme a choisi la troisième option, au vu de la chaleur qui s'empare de mon visage.
"On peut arrêter de le regarder, si tu veux."
Rachel passe rapidement ses bras derrière mon dos et me répond précipitamment :
"Non, sinon je vais devoir retourner dans ma chambre..."
C'est sûr, je vais mourir avant la fin de l'année d'une tension trop élevée : les battements de mon coeur se multiplient au point d'en être à dix par seconde.
Je ris doucement avant de la serrer un peu plus et de rétorquer :
"Mais non, tu peux rester ici autant que tu le souhaites. Et puis, on peut toujours discuter."
Elle pèse le pour et le contre, puis accepte ma proposition. Je pars donc chercher quelque chose à grignoter au rez-de-chaussée et remonte rapidement. J'allume la lampe de bureau, que j'ai branchée près du lit et tandis que nous nous installons confortablement, nous commençons à nous poser des questions, diverses et inutiles, l'une après l'autre. L'ambiance est agréable et l'intimité que nous avons lentement construite se fait ressentir : aucune d'entre nous ne cache sa réponse à l'interrogation posée et nous nous racontons des anedoctes, des souvenirs, des bêtises et un tas de ragots, que personne d'autre ne pourra connaître. Je me sens tellement bien à ses côtés, que nous discutons encore et toujours, jusqu'à ce que les trois heures du matin soient largement dépassées.
Tandis que je termine de raconter un événement passé dans une de mes nombreuses familles d'accueil, Rachel se met à rire en commentant ce dont il est question. Je ne peux m'empêcher de l'admirer, riant aux éclats et semblant plus heureuse que jamais. Finalement, peut-être que c'est la jeune fille, au grand sourire et aux cheveux bruns emmêlés, qui est la véritable Rachel. Je souris sans le vouloir lorsque je songe au fait qu'il n'y ait que moi qui puisse la connaître ainsi.
Ma soeur décide alors de briser mes pensées enthousiastes en me questionnant sur un sujet délicat. Elle n'a posé qu'une seule question et pourtant, elle m'a fait perdre tous mes moyens. Je ne pensais vraiment pas qu'elle puisse être intéressée par cela, mais après réflexion, c'est tout à fait justifié et normal. Je baisse les yeux, rassemblant mon courage : il faut que je lui dise. J'ai appris certains événements douloureux de son existence : désormais, elle a le droit de connaître les miens. Je m'apprête à me lancer dans mon passé, dans un enfer qui m'est propre, dans les souvenirs d'un tourment qui ne m'a jamais quittée, tandis que son interrogation se répercute en moi, comme un écho contre les parois d'une caverne vide :
"Dis Alice, que sont-devenus tes vrais parents?"
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How on earth can I love her ?
Teen FictionDe nos jours, l'homosexualité est un sujet devenu peu à peu laxiste : on en parle plus facilement, mais rarement sans gêne. A celui-ci s'ajoutent des cas dont personne n'ose parler, y compris le pseudo-inceste. Les familles recomposées sont une sour...