Chapitre 24

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En regardant par la fenêtre, je contemple le peu de poudreuse qui recouvre désormais uniquement les tuiles des habitations, ainsi que les branches nues des arbres. Seul le chemin goudronné de la route en conserve les vestiges, mélangés à la quantité importante de sel déversé afin d'éviter certains dérapages involontaires. Quelques jours se sont écoulés depuis Noël : Rachel et moi avions profité de ces derniers pour ne plus se quitter. Nous restions toujours dans la même chambre, que ce soit la mienne ou la sienne, et Isabelle savait que si elle croisait l'une, l'autre n'était jamais bien loin. Nous passions notre temps à lire nos livres fraîchement déballés ou encore, à discuter d'un quelconque sujet, souvent inintéressant. Je n'avais pas encore osé proposer à Rachel de s'entraîner au skate-board, me rappelant nettement la manière dont j'avais dû clore le sujet. Et également, à cause de la neige encore présente sur le sol. Mais aujourd'hui, ce n'est plus une excuse valable, vu qu'elle s'est lentement évaporée et a rendu son aspect innitial au terrain. Il va bien falloir que je me décide à lui proposer... Je laisse la paume de ma main venir s'applatir sur mon visage : pourquoi tant d'inquiétude ?

"C'est vrai, je n'ai pas à m'inquiéter de ça. -je me mets promptement debout et commence à tourner en rond, tel un moment d'intense réflexion- Je dois simplement aller la voir et lui dire : "Est-ce que tu voudrais essayer le skate-board avec moi ?" Voilà, c'est tout simple, je n'ai aucune raison de-"

"Ce serait avec grand plaisir."

Je me retourne soudainement, les joues déjà rouges d'embarras. Rachel se tient dans l'ouverture de la porte et me regarde fixement, un rictus moqueur coincé sur ses lèvres. J'ouvre la bouche, espérant trouver rapidement une issue de secours, mais j'abandonne lorsque ma conscience m'apprend que cela aggraverait le comique de la situation. Rachel semble à deux doigts d'éclater de rire : je doute de ne jamais avoir été autant tournée en dérision. Détournant le regard, je fais mine de faire la moue, avant de, finalement, lui proposer :

"Donc... Tu veux bien ?"

Rachel s'approche de moi, pose rapidement ses mains douces sur mes joues et tourne mon visage, afin qu'elle puisse me regarder dans les yeux. Celui-ci doit être encore plus rouge qu'avant, bien que ce soit physiquement improbable. Elle me sourit, puis daigne enfin me répondre :

"Bien sûr."

Tellement adorable.. S'ensuivent l'habituel chaos de mon organisme, quelques balbutiements et un infarctus évité de peu, avant que je puisse être en état de bouger à nouveau.

Dix minutes plus tard, nous étions dans le terrain vague de la ville : plus précisément, un ancien espace de basket, abandonné depuis des décennies. Même les paniers ont fini par s'effondrer sur le côté. Heureusement, le bitume est resté intact : autrement dit, c'est l'endroit rêvé pour s'entraîner ! Je décoince la planche à roulettes, maintenue sous mon bras, et la pose au sol. Rachel et moi la contemplons durant de longues secondes, tâtant les risques et les dangers que nous allons encourir. Un bref regard vers ma soeur, et finalement, j'ose monter en premier dessus : comme réponse, le skate-board glisse rapidement sur ma gauche... Sans que j'y sois restée.

Beaucoup disent que la première rencontre est la plus significative, mais je dois avouer que celle avec le sol était plus douloureuse qu'autre chose. En me relevant, avec difficulté, je constate que Rachel maintient sa main contre son visage, afin de s'éviter une crise d'euphorie. Blessée dans mon amour-propre, que je n'ai pourtant jamais développé, je reprends la planche en bois et la repositionne : tandis que je tente de me replacer dessus, j'ai clairement l'impression qu'elle se moque, elle-aussi, de moi.

Après une multitude de tentatives (accompagnées d'une multitude d'échecs), je me relève une énième fois. Ma soeur, assise depuis un quart d'heure afin de mieux profiter du spectacle, est à deux doigts de craquer : je la vois se mordre les doigts pour ne pas éclater de rire. Mon exaspération est à son comble et je décide de me venger de son attitude, que je ne juge pas assez compatissante. Je m'approche d'elle, lui tends la main et l'invite à essayer :

How on earth can I love her ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant