Aussitôt, je me redresse, retourne à l'intérieur, cours jusqu'à l'étage et reviens dans ma chambre : celle-ci est déserte. Je me doute que Rachel n'a pas du m'attendre pendant tout ce temps. Alors que je me retourne, prête à aller la chercher dans chaque pièce de la maison, je l'aperçois qui se tient devant moi. Rachel referme la porte, de sorte à m'enlever toute possible issue de secours. Le moment est idéal pour entamer la discussion que je souhaite avoir avec elle. J'ouvre la bouche, espèrant que les mots me viennent naturellement. Mais ce n'est pas le cas. La peur du rejet, le courage nécessaire à cet aveu, les sentiments intimes qu'il me faut avouer : tout me paralyse. Je comprends désormais ce que signifie "se déclarer" : bien loin d'être sous une quelconque impulsion hormonale, les sentiments négatifs et les doutes m'oppressent. Ils essaient, un par un, de me convaincre que ce n'est pas le bon moment, qu'il me faut attendre, que cela va mal se finir. Mais j'ai assez patienté. Et maintenant, je vais lui dire :
"Rachel, je.."
En relevant la tête vers son visage, ma voix se coupe brusquement. Ma soeur, d'ordinaire très calme, est dans un tel état d'anxieté que j'ai du mal à la reconnaître. Finalement, elle se redresse le plus possible, plongeant son regard dans le mien, et avec tout le courage qu'elle a pu accumuler, elle se lance. Désormais, je comprends que rien, rien au monde, ne pourrait arrêter sa course :
"Ecoute-moi, Alice. –bien que sa voix se veuille déterminée, ses poings serrés tremblent, traduisant sa peur et son inquiétude- Je sais que je n'ai pas été très proche de toi, ces derniers temps.. Voire même distante. Je sais que cela t'a blessée, et ce n'est que la énième fois où je suis responsable de tes maux.. Tu dois sans doute penser que je ne sais pas ce que je veux et.. Et... Tu as malheureusement raison.. –elle s'approche lentement de moi, son regard fuyant le mien- Je ne sais pas quoi faire de mes sentiments, je ne sais comment les dire ou même, les comprendre.. Tu as toujours été à mes côtés et je n'ai jamais été capable de te rendre la pareille.. De toute mon existence, je n'ai jamais rencontré quelqu'un d'aussi gentil.. Et au lieu de te montrer ma reconnaissance, je ne parviens qu'à te faire du mal.. Je sais que.. Je suis très compliquée et que je ne serais jamais aussi complaisante que toi.. Mais pourtant, je veux que tu saches que.. Que.. –ses mains se crispent, tandis que ses mots peinent à sortir. Elle semble lutter intérieurement contre une force qui l'empêche d'exprimer librement ses ressentis, de s'ouvrir à quelqu'un d'autre que soi-même, mais elle n'abandonne pas et, pendant un court instant, elle prend le dessus et la domine- Je.. Je veux tenir tes mains et.. Et je veux te serrer dans mes bras..! –sa voix se coupe un bref instant, avant de reprendre plus bas- Je veux aussi t'em-.. T'embrasser et.. Je veux rester à tes côtés et pouvoir te montrer, à chaque instant, que je.. –ses yeux se ferment. Elle sait ce qu'elle doit dire, elle connaît les mots qui vont suivre. Aussi ridicule que cela puisse paraître, ces sept lettres assemblées forment un aveu qui lui est difficile à prononcer. Mais, elle aussi, a trop attendu. Et dans une force indescriptible, dans un courage inhumain, dans une lutte finalement gagnée, elle avoue ce qui pèse sur son coeur depuis bien trop longtemps- Que je t'aime !"
Le temps semble s'être suspendu autour de nous. Les secondes ont arrêté de défiler, le monde a cessé de tourner : seule la voix de Rachel se répercute encore contre les murs de la pièce. Mon coeur s'affole, explosant de bonheur à chacun de ses battements. Tantôt détruit, tantôt euphorique : la bipolarité de ce sentiment est tout à fait étrange et subtile. Mais je ne m'en soucie pas, du moment qu'il me permette de profiter de cet instant. Rachel, les mains toujours serrées, assimile peu à peu le sens de ses mots. Lorsqu'elle relève la tête, je constate son visage plus rouge que jamais, en parfait contraste avec la lueur pétillante de son regard : ses prunelles semblent répéter "Je l'ai fait, j'ai réussi. Je lui ai dit" et je ne peux que me sentir fière d'elle, soulagée et heureuse. La joie s'intensifie dans chacune de mes veines. Comment ces trois simples mots peuvent avoir un effet aussi bénéfique ? J'ai l'impression que mes muscles sont noyés d'adrénaline, me donnant envie de sauter n'importe où, de courir des kilomètres, de crier mon extase à tous ceux qui voudront bien l'entendre. Mes neurones sont devenues euphoriques tandis que mon corps s'est transformé en feu d'artifice. N'y tenant plus, je m'approche d'elle, tandis que nos regards refusent de quitter celui de l'autre : ai-je précédemment parlé d'intimité ? Quelle ignorance. La véritable intimité est sans aucun doute ce que nous vivons actuellement : nos pensées semblent vaguer entre nous, sans pudeur ni gêne, tandis que nos sentiments se répondent et, cette fois, nous le savons. Lui souriant avec le plus de tendresse possible, je passe lentement ma main dans ses cheveux bruns et lui murmure :
"Je t'aime aussi, Rachel."
Tandis que mes doigts traversent la douceur de ses mèches, je me rapproche de son visage, le mien déjà écarlate à l'idée de ce que je m'apprête à faire. Rachel se hisse légèrement sur la pointe des pieds, cherchant elle aussi à me rejoindre. Et dans un silence pendant lequel l'univers reprend lentement sa course, nos lèvres se joignent enfin, sans que plus rien n'ait d'importance. Une sensation indescriptible envahit mon corps, mon esprit, mon aura : tout ce que je pensais posséder ne m'appartient plus désormais. J'ai l'impression de sentir ma cervelle fondre et couler le long de ma colonne vertébrale, à moins qu'elle ne se soit évaporée subitement. Mon coeur a cessé de battre, comme pour profiter au maximum de l'instant présent, comme si, lui aussi, avait retenu son souffle. Lorsque nous nous éloignons l'une de l'autre, je ne peux que penser à un mot, qui se répercute encore et encore en moi : doux ; mais qui décrit pourtant tout ce qui a pu traverser mon esprit durant ce bref instant. Les joues de ma soeur semblent sur le point de se carboniser, et je doute que mon visage soit dans un meilleur état. Souriant à nouveau, des larmes de joie perlant au bord de mes yeux, je m'empresse de la serrer dans mes bras. En sentant les siens venir enlacer mon cou, je crois mourir de bonheur. Je me sens stupide d'avoir songé à l'abandonner. Mais qui aurait pu croire que je puisse autant l'aimer ? Qui aurait pu penser que je puisse, un jour, la serrer ainsi ? Qui aurait pu m'imaginer ressentir des sentiments aussi puissants pour elle ? Pour l'instant, je m'en moque, sachant parfaitement que le plus important, est qu'elle ait pu les comprendre.
Quelques mois ont passé depuis. Nina a terminé, il y a peu, son stage et est donc revenue nous voir. En nous observant, Rachel et moi, elle comprit, sans aucune explication nécessaire, que nous avions surmonté nos appréhensions. Profitant de son retour, ma soeur et moi s'étions mises d'accord sur le fait d'avouer à Isabelle, notre "relation" plutôt particulière. Après de nombreux balbutiements et une montée de stress intense, ma belle-mère avait finalement éclaté de rire, avant de pouvoir répondre : "Et vous étiez persuadées que je ne le savais pas ?" Décidément, il est vrai : en plus de la discrétion, cette famille a obtenu un sens de l'observation impressionnant. Mais nous étions toutes les deux soulagées de sa réaction, et Nina le semblait aussi. D'ailleurs, j'ai présenté Sarah à cette dernière et même si mes capacités d'observatrice ne sont pas les leurs, je suis convaincue que ces deux-là vont très bien s'entendre. Dans un sens particulier que je ne développerai sans doute jamais. Quant à Rachel et moi, nous ne nous quittons plus et restons collées l'une à l'autre, pour ainsi dire, toute la journée. Voire plus. Je m'en vais d'ailleurs la rejoindre sur la terrasse : elle est accoudée à la rambarde, contemplant l'horizon, ses cheveux bruns ondulant sous la faible brise du printemps. Une fois près d'elle, je pose doucement ma main sur la sienne. Comme réponse à ce geste, Rachel se tourne vers moi et me sourit, avant d'enlacer ses doigts aux miens. Puis elle pose sa joue contre mon épaule, et retourne à sa contemplation. Pendant ce temps, mon coeur semble prêt à briser mes côtes, tant ses battements sont forts et rapides. J'ai tenté de m'y habituer, en vain : ma soeur sera toujours la seule cause à mon rythme cardiaque trop élevé. Je n'ai plus qu'à me faire une raison. Tandis que mes joues reprennent peu à peu leur couleur innitiale, je me perds à mon tour dans l'immensité du décor : le soleil disparaît lentement derrière les arbres, tandis qu'il illumine les champs aux alentours, d'une lumière douce et bienveillante. Je serre un peu plus la main de Rachel dans la mienne, profitant pleinement de l'instant présent.
Chaque jour se déroule toujours ainsi, et notre seul espoir est que nous puissions, à jamais, rester ici.
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How on earth can I love her ?
Ficção AdolescenteDe nos jours, l'homosexualité est un sujet devenu peu à peu laxiste : on en parle plus facilement, mais rarement sans gêne. A celui-ci s'ajoutent des cas dont personne n'ose parler, y compris le pseudo-inceste. Les familles recomposées sont une sour...