Chapitre Cinquante-trois

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HUNTER

En deux mois, j'ai fait tous les musées du pays. Même ceux qui n'exposent que saisonnièrement. Je n'en ai pas aimé toutes les expositions, que ce soit les sculptures, les tableaux ou les vestiges d'époques passées. J'avais juste besoin de penser à autre chose. Alors j'ai apprit tout ce que j'ai pu apprendre par le biais de ces visites, pour me vider l'esprit.

En fait, j'ignore vraiment si ça m'a aidé. Je veux dire, comment pouvez-vous vous débarrasser de quelque chose que vous sentez si présent en vous ? C'est comme s'arracher un membre, ça fait mal et ça fait un manque. Sauf qu'une fois un membre arraché, il ne réapparaît pas comme par magie à la place où il était. C'est tout le problème que j'ai avec l'amour. Ca revient à la charge encore et toujours, sans que je ne puisse m'en défaire aussi facilement.

Hier soir, j'ai appelé mon père. Je lui ai dit que j'acceptais sa proposition de prendre en charge l'Hôtel Orex-Sierra qu'il a ouvert quelques semaines dans le nord du pays. Monica a voulu que je passe chez eux pour fêter cette nouvelle, mais je déteste leurs repas de famille, qu'ils soient improvisés ou préparés à l'avance. Dans tous les cas, ils trouveraient un moyen de me gâcher la soirée. 

J'allume mon feu de cheminée puis je me serre une coupe de vin blanc. Je m'assois contre ma table basse, sur le tapis foncé de mon salon. Le feu illumine le séjour, et je perds mon regard dedans. Je pense à un tas de trucs, mais surtout à un truc. Je réalise que je n'ai aucune, mais alors aucune photo de Rain. Je ris fort. Je me reconnais bien là, étranger à cet esprit de conservation, et ça ne m'empêche malheureusement pas de me trouver nul. J'aurais dû penser à prendre une photo d'elle. 

Avec ce temps qui file sans que je ne la vois, j'ai l'impression que je vais oublier son visage. J'ai déjà peur d'avoir oublié le son de sa voix, merde... 

J'attrape le PC qui traîne tout près. Je consulte mes mails en priant pour que quelqu'un de cette foutue famille à la con m'ait envoyé un mail suite à l'affreuse garden-party. Peut-être qu'en prime, j'aurais le droit à des photos et surtout à une photo d'elle. J'y jette un œil sur ce mince espoir.

Je me trouve super ridicule à chercher quelque chose que je m'imagine sans doute. En fait, je ne sais pas trop où je suis descendu dans ce qui compose ma vie dorénavant, mais c'est vraiment bas. C'est un peu comme si toutes les étapes de ma vie justement, étaient destinées à connaître bonheur puis malheur. Ces deux choses fonctionnent-elles au moins ensemble ? Je n'ai pas arrêté de me le demander. Si on était tous un peu obligé de vivre des instants incroyables pour qu'ensuite ils soient ruinés piteusement. Ou si en effet ça concerne réellement chaque individu, je n'ai pas de raisons suffisantes pour m'apitoyer sur mon sort. 

A penser comme ça, j'ai l'air de mon moi ado et soudain j'avale de travers. 

Ariana m'a envoyé un mail ayant pour intitulé "Ouvre pétasse, faut qu'on parle du fiasco !".

A l'époque -enfin il y a quelques mois- je n'avais même pas connaissance de ce mail. Je n'allume jamais cet ordinateur et il est tellement vieux que je ne me souviens pas du moment où je l'ai acheté. Si ça se trouve, il date de mes années lycée. 

Je parcours son mail.

Bon, pas la peine de te dire salut parce que 1) tu t'en fiches, et ensuite 2) tu ne liras probablement pas mon message. Tu sais, parfois je me demande si on est vraiment lié toi et moi, tu sais "sanguinairement" parlant ( ce mot n'existe sans doute pas, mais à partir de maintenant si ).

J'ai dû partir pour les Caraïbes le soir de cette journée ratée. Monica ne savait plus où se mettre, ni ses invités d'ailleurs ! C'était sans doute le truc le plus marrant qu'il s'est passé après votre départ précipité. 

Hunter (2014)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant