Chapitre Soixante-cinq

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RAIN

Ma robe a coûté hyper cher. Je l'aimais beaucoup, vraiment. Elle réussissait à me mettre en valeur, d'une façon que je ne croyais pas encore possible. Chacun de ses détails, je les adorais, à croire qu'ils étaient crées pour me plaire. 

Alors maintenant, savoir que Hunter va la foutre sans ménagement dans la benne à ordures de l'hôtel dans lequel on vient de s'arrêter, ça me fait quelque chose. Un grand pincement au cœur, une sorte de tristesse éphémère mais puissante. 

Je ne me connaissais pas aussi matérialiste.

Ma raison me dit que je réagis comme ça parce qu'il faut que je ressente autre chose depuis que le grand Sierra vient de resurgir dans ma vie. Mais j'aurais préféré d'autres émotions  qu'une tristesse morbide. Comme, je ne sais pas moi, de la satisfaction, de l'enthousiasme ou du confort. Pourquoi ne puis-je pas tout simplement accepter l'amour qui m'envahit en ce moment ? Mon Dieu, pourquoi faut-il toujours que j'y mêle quelque chose de sombre ?

Je n'ai actuellement aucune réponses à ça.

Le nouvel acolyte d'Hunter -qui a choisi de s'installer à la place passager sans me concerter quand nous avons quitté le mariage précipitamment- ne m'inspire pas une grande confiance. Il fait grandir en moi un sentiment d'insécurité, et c'est sans doute parce que je n'approche aucun homme de près, à moins que je ne le connaisse un minimum, ou que ce soit vraiment nécessaire. Le temps m'a rendu ainsi, c'est dire à quel point ça m'ennuie. Le pire c'est que nous nous trouvons dans un périmètre inférieur à un mètre. C'est générateur de stress pour moi.

Cet homme s'appelle Calvin, et mis-à-part le fait qu'il m'a vu en sous vêtements -ce que j'aurais bien voulu éviter, aucun homme ne m'a vu vêtue de cette manière pour une première rencontre- il n'a pas franchement l'air dangereux. Malgré tout, je n'ose pas engager une conversation avec lui, je ne sais pas pourquoi ça semble si "risqué" pour moi. Après tout, je devrais être contente, il m'a peut-être évité un rhume. Quoique après les torrents de pluie qui m'ont frappé, je ne parierai pas trop là-dessus. Mon nez n'arrête pas de couler depuis qu'on est entré dans la voiture.

Nous attendons donc dans un calme olympien, que Hunter revienne. Je ne vais pas mentir, ce silence me panique. La nuit est toujours aussi noire, même si la lune essaie au mieux de faire son job, éclairant de manière insuffisante l'horizon. La pluie n'a toujours pas cessé, ce que je trouve inquiétant. Elle est vachement tenace ce soir. Ou peut-être l'est-elle généralement sans que je ne le remarque vraiment.

- Dis donc, Mamzelle Rain, vous avez relancé le cœur de ce pauvre Hunter.

Je continue de regarder les gouttes de pluie glisser le long de la vitre à laquelle mon front semble attiré comme un aimant. Ça me donne un côté dramatique. Bien qu'elle soit froide, elle m'apaise. Je n'ai pas énormément de vêtements sur moi, il a d'ailleurs fallu que j'accepte la veste de Calvin. Une sorte de vieux treillis ayant perdu sa couleur d'avant. Je suis gelée. 

- Non, Calvin, c'est juste... C'est mieux. Il va mieux. Et moi aussi, je pense. Pour le moment.

Étant assise sur le siège centrale de la banquette arrière, j'observe Calvin déguster la part de gâteau qu'il a enveloppé dans un bout de nappe de table. Ce mec est incroyable. Éclairé par les néons rouges et bleus de l'enseigne de l'hôtel, il a même l'air surréaliste.

Il prend un air pensif en mâchant très lentement. Comme s'il se concentrait à faire une tâche qui ne demande aucune concentration particulière.

- Quand on est un clodo, on se demande toujours où est-ce qu'on va vraiment dormir, une fois la nuit venue. On est dans l'attente parfois funeste, que notre vie changera le jour suivant, que Dieu aura une certaine merci à notre égard, d'une façon. On est triste et malheureux, mais ça se devine aisément. On a aucune maison, Rain. De temps à autre, on a même l'impression de ne plus vivre, de se laisser exister, et d'observer cette existence ratée, se détériorer encore plus. On est minable et sale. Des milliers de regrets viennent nous saccager l'esprit tous les jours comme pour qu'on n'oublie jamais.

Hunter (2014)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant