Chapitre Soixante-dix

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HUNTER


Je suis garé devant le portail de la grande baraque de mon père depuis plusieurs minutes. Mes yeux naviguent tantôt vers la portière que j'hésite vraiment à ouvrir, tantôt sur mon volant. Ce serait tellement simple de partir. De tout refouler, tout ce qui m'est revenu aussi bizarrement soit-il. C'était tellement vif que je pourrais l'écrire dans les moindres détails. Ou alors presque. J'ai quand même conduit jusqu'ici parce que justement, il m'en manque.

Mon portable a vibré pendant tout le trajet. Et pendant toute cette durée je l'ai ignoré. Je me dis que j'ai bien fait, que de toute manière c'est mal de vérifier son téléphone au volant. Mais en fait, j'essaie plutôt de ne pas penser à ce qui m'y m'attend si je le vérifie. Des problèmes, des problèmes et une masse encore plus importante de frustration. Et aussi de colère, celle que je dirige vers moi en me disant que je perds mon temps en ce moment.

A mon avis, Monica dort. Tout le monde devrait dormir à trois heures du matin. Sauf que mon père n'est naturellement pas tout le monde. S'il ne dort pas, il doit être en train de manipuler des papiers sérieux ou les pages d'un livre de Proust. Tout ça autour d'un verre de whisky bien évidemment.

Ça me donne presque envie de moi aussi me réfugier dans le fond d'un verre de whisky. Presque, parce qu'en fait ce serait idiot. Ce n'est sûrement pas en me réfugiant là-dedans que je vais avoir mes réponses. Et quand bien même mon père accepte de me les donner, qu'est-ce que je ressentirais après ? Pour le moment, c'est moi et mes infinis points d'interrogation. Dans une heure, je ne peux pas être sûr de ce qui m'accompagnera. 

Je finis par entrer le code du portail. Il s'ouvre et mieux encore, il est silencieux.  Alors dans le même silence, je traverse la grande cours qui mène à la porte d'entrée de l'immense baraque dans laquelle j'ai grandi. J'ai chaud alors que l'air est frais. Je me sens oppressé, comme si je portais un col roulé trop serré alors que je suis encore dans le peignoir inconfortable de l'hôtel. J'ai réfléchi trop vite, et mes réflexions accélérées me font faire des trucs idiots. Au moins j'ai pensé à mettre des chaussures. Au moins, j'ai une petite idée de ce qui va sortir de ma bouche. Devant mon père, on ne peut pas se permettre de bégayer ou de réfléchir ouvertement. 

Je prends le double de clé que je n'ai pas utilisé depuis mes années lycée tellement je fréquente peu cet endroit. J'ai beau forcé, je n'arrive pas à rentrer la clé dans la serrure. Quelqu'un m'aurait averti si un changement de serrure avait été fait. Enfin, je pense. Je n'en ai aucune idée. Du coup, je continue de triturer cette pauvre serrure en espérant que c'est ma vision qui me joue des tours, et que je ne vois rien de ce que je fais.

Quand la porte s'ouvre enfin, j'ai un petit sourire satisfait. Il se volatilise au moment où je me rends compte que c'est mon père qui a ouvert la porte d'entrée. Pas moi et ma clé périmée.

Il se tient dans une chemise blanche repassée à la perfection et un pantalon de smoking crème. Ses cheveux sont grisonnants mais chez lui ce n'est pas vieillissant. C'est chic et ça m'horripile bien de l'admettre. Mon père a de la classe et pire encore, il me fait penser à un reflet. On se ressemble terriblement.

Comme je l'avais prédit, il a un verre à la main. Sans parler qu'il amène toujours avec lui ce regard méprisant et accusateur. Le regard de Dale Sierra pourrait à lui seul réussir à vous faire confesser un crime que vous n'avez pas commit. En simple, il est déstabilisant et éteint.

- Qu'est-ce que tu fiches ici ? Dis-moi, Hunter, y a pas de pendule là où tu habites ?

Je serre mon poing automatiquement. La conversation n'a pas encore réellement débuté et pourtant ça sent déjà le roussi. Mais c'est lui le problème, à toujours me lancer des phrases tranchantes et sèches. Ça dure depuis tellement longtemps que je devrais être habitué maintenant. Non, j'y suis toujours pas habitué.

Hunter (2014)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant