Chapitre II

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Veronika examina ses mains couvertes d'égratignures. Les efforts de sa mère pour rendre leur peau douce et blanche se trouvaient réduits à néant. Chaque soir, la jeune fille les enduisait d'une pommade censée atténuer hâle et taches de son et mettait des gants la nuit. Ces précautions baroques remontaient à deux semaines environ et coïncidaient avec l'arrivée d'une lettre d'Autriche. Sur le moment, Veronika n'y avait pas prêté attention. Mrs Hartnell entretenait une correspondance régulière avec une amie viennoise jadis côtoyée en pension et devenue lectrice de l'impératrice. Petite, elle chipait les timbres pour sa collection, mais cette marotte lui avait passé. Le soir-même, sa mère lui avait monté dans sa chambre une lotion aux plantes. 

« Du millepertuis, avait-elle expliqué. Tes mains ressemblent à celles d'une fille de ferme, il est temps d'y remédier.

— Mes mains ?"

Étonnée, Veronika avait regardé les dites-mains. Ces dernières étaient grandes, trop grandes pour une femme, et abîmées par les travaux de jardinage auxquels elle s'adonnait. Les doigts en étaient longs, avec de fortes jointures. « Des extrémités de pianiste », avait coutume de plaisanter son père. Veronika n'était pas douée pour la musique, ses velléités de jouer du violon avaient tourné court, à la contrariété de sa mère. « À Vienne, tout le monde est peu ou prou musicien, avait commenté Mary Hartnell. C'est la capitale de la valse. » La jeune fille avait jugé bizarre cette réaction, comme si sa mère lui faisait un reproche. Cela aurait été stupide puisqu'elle n'irait jamais à Vienne. Elle se marierait – elle avait largement l'âge – et élèverait ses enfants dans cette campagne riante du comté de Berkshire. Levant les yeux sur sa mère, elle s'était exclamée :

« Oh ! Maman ! cela a-t-il vraiment de l'importance ? »

À ce moment, son regard était tombé comme par mégarde sur les phalanges effilées de Mrs Hartnell, aux antipodes des siennes. Ce n'était pas la seule différence entre elles. Autant Mary était petite et ronde, autant Veronika était mince et de haute stature : une perche, disaient les gens qui ne l'aimaient pas. Ceux qui l'aimaient pointaient ses yeux profonds, verts, semés de points dorés, son nez à l'arête délicate et sa bouche bien ourlée. Elle possédait en outre un atout non négligeable : des cheveux d'un brun roux qui, déployés, lui arrivaient à la ceinture. Généralement, elle les portait relevés en chignon plus ou moins bien discipliné. Plutôt mal que bien après sa course folle dans les prés avoisinant le cottage des Hartnell, suivie de l'escalade de son chêne préféré. Des épingles s'étaient perdues en chemin et une moitié de sa chevelure lui battait le visage. De même, ses vêtements avaient souffert ; la dentelle de ses pantalons s'était effilochée au contact des aspérités du tronc et son corsage présentait une déchirure à l'épaule. Pourtant, le temps de ses jeux de garçon manqué était définitivement révolu. Il avait fallu de grands bouleversements pour qu'elle se réfugiât dans cette cabane construite par les gamins du village, tout en haut de l'arbre.


Veronika lécha les zébrures sanglantes de ses doigts. Elle se souvenait de la réponse de sa mère.

« Oui, l'état de tes mains a de l'importance, tu peux être amenée à aller dans le monde. Que diraient les gens ?

— Papa aurait-il trouvé un mari pour moi ?

— Pas encore, mais cela ne saurait tarder. »

En vain avait-elle tenté d'en savoir plus. Questionné, son père ne s'était pas montré plus loquace. Son père, sa mère comme ces termes lui paraissaient dérisoires à présent. En fait, ils n'étaient ses parents ni l'un ni l'autre. Pas des étrangers, non, puisque la femme censée l'avoir mise au monde était sa tante, la sœur de son vrai père, l'oncle Bay, disparu récemment. Veronika n'avait pas souffert de cette mort, elle le connaissait à peine. Et voilà que ce matin, sa mère – non, tante Mary, il faudrait s'accoutumer à lui donner ce nom – lui avait révélé la vérité. Elle était une bâtarde, née des amours de Bay et d'une femme mariée de la haute aristocratie viennoise. Les murs du salon s'étaient mis à onduler, le plancher avait paru se dérober sous ses pas, mais Veronika avait tenu bon. Le premier choc passé, la première question avait fusé :

La fille du dimancheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant