Assise sur une chaise, l'impératrice se faisait coiffer. Une femme en robe noire et tablier blanc achevait d'édifier la couronne de tresses de Sissi. Le manque d'éclat de cette chevelure tant célébrée frappa Arpad. Le visage dans la glace était d'une pâleur crayeuse. La vision rayonnante de Veronika dans son amazone se substitua à celle de la femme mûre et lasse. Arpad mesura le chemin parcouru en l'espace de quelques semaines. Sa vénération pour Elisabeth lui apparaissait à présent comme une toquade d'adolescent. De cet éblouissement, il ne subsistait rien, à part un immense respect.
« Fanny, tu peux te retirer, dit l'impératrice. Tu as accompli des merveilles, comme d'habitude. »
La coiffeuse récupéra les cheveux morts sur le manteau de dentelle qui protégeait les épaules de Sissi et les posa sur un plateau. Puis elle sortit après avoir exécuté une petite révérence. À la vue des longues mèches d'un brun éteint, Arpad fut saisi d'un sinistre pressentiment. Elisabeth se retourna pour lui faire face :
« Approchez, Lieutenant Ferenczy, ce que j'ai à vous communiquer ne doit pas tomber dans des oreilles indiscrètes. »
Il obéit. Bien que la déesse eût chuté de son piédestal, elle continuait à l'impressionner. « Vous avez amplement démontré votre loyauté, ajouta-t-elle. »
Gêné, Arpad murmura :
« Celle-ci n'a pas été pleine et entière, vous devez le savoir.
— Frantz peut se montrer extrêmement persuasif. Quant à certaines omissions, je vous les pardonne bien volontiers si vous acceptez de me rendre service.
Arpad flaira le piège sous ces paroles prononcées d'une voix douce, mais ferme. Depuis des semaines, il était un instrument entre les mains des uns et des autres et cette dépendance le rendait nerveux.
« Tout dépend du genre de service, osa-t-il dire.
— Ce sera plutôt une sinécure.
— Je ne comprends pas. »
Elisabeth se leva. Son extrême minceur, à la limite de la maigreur, l'allongeait encore. Arpad songea aux formes sculpturales de Veronika. Il ne pouvait s'empêcher de comparer la mère et la fille et s'en voulait.
« Je vais cesser de parler par énigmes. Il s'agit de Veronika. Imre Esterhazy a épousé une autre femme, je l'ai appris ce matin, de la bouche-même de l'empereur.
Il réprima le « Pourtant, je viens d'apercevoir Veronika en compagnie de Nicolas Esterhazy » qui lui venait aux lèvres.
« Comme vous le savez, continua Sissi, je rêvais pour ma fille d'un époux hongrois. Pourquoi pas vous ?
— Pardon ?
Arpad eut l'impression que les murs blanc et or se gondolaient, que les contours de la fine silhouette en noir se brouillaient. Il dut s'appuyer à une console pour rester debout.
« Oui, vous, répéta Sissi. Nous n'avons pas d'autre parti magyar sous la main pour l'instant, et Veronika doit impérativement s'éloigner."
Il allait demander « pourquoi ? » mais elle le prit de vitesse :
« La presse a été muselée provisoirement, ne nous faisons pas d'illusions. Les fouineurs chercheront jusqu'à ce qu'ils trouvent. Vous ne pouvez pas savoir à quel point notre famille a été traînée dans la boue quand Rodolphe s'est suicidé. Je ne veux pas revivre pareil cauchemar."
Arpad lut comme un appel au secours dans le regard brun vert si semblable à celui de sa fille.
« Vous emmènerez Veronika loin d'ici et vous la protégerez, dit encore Sissi. Promettez-le-moi."
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La fille du dimanche
Ficción históricaVienne, avril 1898, Le lieutenant Arpad Ferenczy, séduisant officier Hongrois, est chargé par l'impératrice Elisabeth d'Autriche: Sissi, de ramener d'Angleterre une mystérieuse jeune fille. Qui est en réalité Veronika dont l'existence peut menacer...