Chapitre IX (1)

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Si tel était le cas, Veronika aurait dû obéir. Arpad croyait François Joseph incapable de s'attaquer à une jeune fille innocente, a fortiori à l'enfant d'Elisabeth. D'autre part, les intérêts de l'État primaient sur les sentiments individuels. Aussi répondit-il :

« Franchement, je l'ignore. »

Un silence tomba entre eux, puis Arpad reprit :

« Il y a une autre chose que j'ignore : comment vous avez atterri dans ce théâtre.

Elle lui raconta en quelques phrases sa balade au Graben, la rencontre au Prater, sa visite chez les Brucks et enfin, la proposition de Marie Larisch qui cachait un piège.

« J'ai été naïve, conclut-elle, mais j'étais si heureuse de converser avec la nièce de l'impératrice. »

Arpad soupira. Même au fin-fond de sa Hongrie, il avait entendu parler de la fameuse nièce : une intrigante de la pire espèce.

« La comtesse Larisch a été chassée de la Cour par l'impératrice en personne, dit-il. D'où sa hargne et sa soif de nuire.

— Je comprends. Pourquoi l'a-t-on écartée ?

— Pour avoir présenté la baronne Vetsera à son cousin Rodolphe. Ils se sont suicidés tous les deux à Mayerling. Cela au moins, vous en avez entendu parler. »

Veronika hocha la tête.

« Oui, les journaux anglais l'ont relaté : une belle histoire d'amour à l'issue tragique.

— L'impératrice ne s'est jamais remise de cette mort, observa Arpad.

— Je pourrais peut-être...la consoler. »

Arpad se retint de hausser les épaules. Veronika n'avait pas un brin de jugeote. Lui, avait lu dans le regard d'Elisabeth un rejet définitif de la vie. Quel accueil pourrait-elle réserver à une fille qui était tout son contraire ?

« Ne vous faites pas d'illusions, dit-il, surtout après le coup d'éclat de ce soir. »

Comme si elle n'avait pas entendu, Veronika s'écria d'un ton passionné :

« Elle m'aime, j'en suis certaine. Je l'ai senti quand elle a dirigé ses jumelles sur moi. Demain, j'irai à la Hofburg ; elle me recevra. »

Cédant à une exaspération trop longtemps contenue, Arpad lui asséna :

« Je vous le déconseille formellement. Dans quel monde vivez-vous ? La cour des Habsbourg n'est pas une ferme ouverte à tous les vents. Elle est régie par une étiquette très stricte. Vous ne pourriez même pas accéder aux appartements d'Elisabeth.

— Merci pour la ferme. Très bien, je vous promets de ne pas y aller. »

« Je me coucherai tôt avec une infusion au miel, avait-elle précisé avec un charmant sourire. » Il la surprendrait en plein sommeil ; tant pis ! Il n'avait pas le choix ? Veronika, tourna la tête vers lui et demanda où il l'emmenait.

« Chez une amie, répondit-il avec un peu trop de vivacité : la baronne Shönborn.

— Une vraie baronne ?

— Oui, authentique, répliqua Arpad, vexé : rien à voir avec votre comtesse Larisch.

— Ce n'est pas « ma comtesse », mais une simple connaissance qui s'est révélée être un faux-jeton. Où habite votre...amie ? »

Elle avait trébuché sur le mot à dessein, Arpad en était sûr. Sous des dehors simplets, Veronika n'était pas dénuée d'intelligence.

« Près de la cathédrale, répondit-il. C'est une très belle maison.

La fille du dimancheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant