Veronika s'était éveillée au moment où l'homme la balançait dans le Danube. Elle se retournait et reconnaissait l'homme dont elle avait eu si peur au théâtre. Ses yeux de lézard, son sourire faux, les médailles sur sa poitrine. Elle criait, mais ses appels demeuraient sans écho. Enfin, elle avait réalisé qu'elle appelait réellement. De la lumière filtrait sous la porte, un bruit précipité de pieds nus retentissait. Arpad était entré dans la pièce et toutes les peurs de Veronika s'étaient envolées. Peu importait qu'il l'aimât ou pas, sa présence lui suffisait.
Il n'avait pas repoussé son étreinte ; au contraire, il l'avait enveloppée de ses bras. Elle éprouvait dans son dos la chaleur de ses paumes, percevait les battements de son cœur. Son odeur : savon et cuir de Russie mêlée à des effluves plus complexes lui montait aux narines. Il avait dû se laver en rentrant. Elle-même gardait un souvenir vague de mains douces lui passant une éponge sur le corps et essorant sa chevelure : Ida.
Arpad l'avait embrassée, puis il avait parsemé de baisers délicats ses pommettes, l'arc de ses sourcils, ses paupières. Telle une aile de papillon, sa bouche se promenait sur son visage, faisant naître des frissons dans tout son corps. Elle était ensuite descendue vers les espaces de peau dévoilés et les avaient explorés avec délectation. Ce même geste accompli par Nicolas Esterhazy avait choqué Veronika. Venant d'Arpad, il lui paraissait tout naturel. Quand ses mains avaient pris le relais de ses lèvres, elle s'était livrée tout entière à ces sensations nouvelles et délicieuses. À un moment, il avait hésité et elle l'avait encouragée à s'aventurer plus avant. Le contact des doigts masculins sur sa poitrine lui avait produit un effet extraordinaire. Une onde de chaleur s'était propagée de la pointe des seins au ventre. Quand Arpad se déciderait-il à lui ôter sa chemise de nuit ? Elle le devinait plein de désir mais aussi de réticences. Cette retenue l'incita à prendre les devants. Elle lui caressa la nuque et les épaules, passa les doigts dans sa chevelure qu'elle mourait d'envie de toucher depuis le début. Puis, ses mains s'enhardirent, se faufilèrent par l'encolure de la chemise coururent sur le dos d'Arpad, ses hanches et son torse recouvert d'une toison soyeuse. Celle-ci se prolongeait plus bas que le nombril. C'était comme le pelage d'un animal doux à caresser. Elle s'arrêta à la ceinture. Franchir cette frontière aurait été incroyablement audacieux, elle en était bien consciente en dépit de son ignorance de l'amour physique.
Alors, Arpad, lui prit la main pour l'orienter vers son sexe dont elle devinait la tension sous l'étoffe. C'était dur et chaud, aussi doux que le velours de la robe portée ce soir. Puis il lui remonta sa chemise de nuit au niveau de la taille. Ses doigts se frayèrent un passage entre ses cuisses. Il passa la main sur sa toison et, de l'index, agaça la zone sensible déjà humidifiée par le désir. Veronika éprouva les mêmes sensations que lorsqu'elle se caressait. Son corps se tendit comme un arc sous les spasmes d'un plaisir aigu, puis se détendit. À présent, elle voulait avoir Arpad en elle, même si cette intrusion devait la blesser. Etait-ce cette peur qui retenait Arpad au seuil de son intimité ? Elle sentait à l'intérieur de sa cuisse le membre érigé. « Maintenant », murmura-t-elle. Elle s'ouvrit, les jambes écartées au maximum. Il entra avec précaution. Veronika creusa les reins et se redressa pour se libérer de l'entrave qui empêchait leur fusion. La barrière céda, il put pénétrer en elle plus profondément. Bien qu'elle eût très mal, ses muscles se contractèrent autour du membre, comme pour l'emprisonner. Arpad lui imprimait un rythme régulier, pas assez soutenu au gré de Veronika. Elle ne désirait pas être ménagée. Les sons entendus chez Mitzi lui revinrent en mémoire : les râles de la baronne, le timbre rauque de son partenaire le grincement du lit. Elle se plaqua contre Arpad, avide de connaître ce plaisir pressenti cette nuit-là. Il dut comprendre ses attentes car son souffle devint plus haletant, son va et vient plus rapide. Au moment d'exploser en elle, il murmura son nom Veronika. Il pesa un moment sur son corps, avant de se soulever et de s'étendre à son côté, encore essoufflé et en nage. Elle posa sa tête au creux de l'épaule masculine et passa une main timide le long du flanc moite, à travers la toison bouclée et foisonnante.
— J'espère...ne pas vous avoir déçu, fit-elle avec appréhension.
— Au contraire.
Il lui dit à quel point elle avait été apaisante, rassurante, combien elle lui avait permis d'aborder sans peur sa terre vierge et inconnue. Veronika se laissa bercer par ses paroles, tout en gardant à l'esprit les conquêtes d'Arpad. Qu'était-elle à côté d'une Mitzi, sinon une novice un peu godiche ? En dépit de ses compliments flatteurs, Arpad n'avait pu s'empêcher de comparer.
« Je lis dans vos pensées, dit-il soudain. Ces femmes n'ont jamais eu d'importance pour moi. Vous seule comptez.
— C'est vrai ?
— Oui. Et je n'avais pas l'intention de vous laisser moisir à Kecskemét pendant que je m'amuserais à Buda. »
Arpad avait mis dans ces mots une intonation malicieuse.
« Au fond de moi, je le savais, dit-elle. J'ai été stupide.
— Moins que moi. Je me suis conduit de manière inqualifiable. »
Veronika se haussa et lui cloua le bec d'un baiser fougueux. Sentant renaître le désir d'Arpad contre sa hanche, elle le guida en elle, toute espèce de timidité abandonnée. Cette fois, plus rien ne fit obstacle à sa progression. À la brûlure causée par le premier assaut, répondit une autre chaleur, venue du plus profond d'elle-même. Comme un doux petit feu qui, attisé par les lents mouvements de l'homme, se transforma bientôt en brasier. La tête ballottée de droite à gauche, Veronika se mordait les lèvres pour retenir les plaintes s'exhalant de sa gorge. Elle ne voulait surtout pas imiter la baronne. Les manifestations de son plaisir seraient discrètes. De plus, la présence d'Ida à deux pas la dissuadait de s'épancher. Mais elle ne put retenir un gémissement, vite étouffé par la bouche d'Arpad qui réinvestissait la sienne. Son ventre parut se disloquer sous la pression des ondes le parcourant. Puis les parties éparses se rassemblèrent au fur à mesure de la décrue des spasmes. Le corps à l'origine de ces sensations inouïes se détendit tout contre elle, en proie à un abandon similaire. De la sueur issue du front d'Arpad mouilla le visage de la jeune femme, telle une rosée bienfaisante. De la pointe de sa langue à présent libre, elle lécha avec ferveur les fines gouttelettes.
« Tu n'as pas avalé assez d'eau salée, mon amour ? la taquina Arpad. »
Son souffle près de son oreille, sa voix grave et merveilleusement rassurante. Désormais, Veronika n'avait plus peur de s'endormir et d'affronter les démons des dernières heures.
Un bruit infime la tira de la merveilleuse torpeur où elle baignait, une sorte de froissement. Celui de jupes glissant sur un tapis ou de bottes. Arpad qui pesait toujours sur elle comme pour lui faire un rempart contre tous les dangers, se dressa d'un bond et récupéra son pantalon tombé à terre. À la lumière incertaine de l'aube, Veronika vit luire l'éclat d'un pistolet dans la main de son époux. Arpad la pointa en direction de l'intrus dont le recul fut fulgurant. Une voix féminine prononça, un peu tremblante :
— Voyons, tu ne reconnais pas ta tante ?
Ida. Le canon du révolver s'abaissa tandis que Veronika poussait un soupir de soulagement. Elle avait à peine eu le temps d'avoir peur. Tu m'as vraiment prise pour Paar ou l'un de ses sbires ? enchaîna Ida.
— Oui. J'aurais pu te blesser ou pire : te tuer. Tu as vu l'heure ?
Le ton était sec, dans la manière d'Arpad quand on le contrariait. Certes, il n'est pas commode, se dit la jeune femme. Ça ne m'empêche pas de l'aimer.
— Je suis désolée de troubler votre intimité – Ida embrassait du regard le désordre des draps et la nudité que Veronika venait de couvrir d'un déshabillé – mais ma démarche ne pouvait pas attendre. Sa Majesté l'impératrice demande à voir Veronika.
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La fille du dimanche
Ficción históricaVienne, avril 1898, Le lieutenant Arpad Ferenczy, séduisant officier Hongrois, est chargé par l'impératrice Elisabeth d'Autriche: Sissi, de ramener d'Angleterre une mystérieuse jeune fille. Qui est en réalité Veronika dont l'existence peut menacer...