Chapitre IV (2)

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Arpad avait décacheté le pli porteur le sceau impérial en premier, avec appréhension. L'autre, une simple lettre, provenait de sa tante dont il reconnaissait la fine écriture. Celle-là, il la redoutait moins. Autant commencer par le message de l'empereur. Prière de vous rendre à la Hofburg dès que vous aurez pris connaissance de ce pli, lut-il. C'était signé : Comte Edouard Paar. Arpad tâta machinalement le carnet dans sa poche de veste. Il y avait consigné des banalités relatives au séjour chez les Hartnell et au voyage et omis le principal : l'incident du train et la ressemblance de Veronika avec l'impératrice. Son instinct lui dictait de se taire sur ces deux points, intimement liés. Pour protéger son Elisabeth adorée, le sort de son sosie, la petite dinde anglaise, lui étant égal. 

Il soupira et passa à la seconde missive. Mon cher neveu, j'espère que la jeune fille et toi êtes arrivés à Vienne sans encombre. De son côté, Sa Majesté s'occupe activement de trouver à sa protégée le meilleur établissement possible. Dans la noblesse hongroise de préférence, notre pays étant cher au cœur de l'impératrice. Sa Majesté a pensé au neveu du comte Esterhazy. Il est jeune, célibataire et fortuné, mais...il y a un mais, il ne voudra pas s'engager sans avoir une idée de sa future épouse. D'où ma requête. Pourrais-tu m'apporter le plus vite possible une photographie de Veronika ? Nous en possédons une, trop ancienne pour convenir. Il va sans dire que tu dois garder le secret sur ce projet ; dis en le moins possible à l'intéressée et détruis cette lettre sitôt lue. Ton affectionnée Ida.

Arpad resta un moment accablé avant de déchirer la lettre. Son contenu prouvait que sa tante et l'impératrice ignoraient à quoi ressemblait Veronika à l'heure actuelle. Nous en possédons une, trop ancienne pour convenir, se répéta-t-il. Si les deux femmes avaient su la vérité, auraient-elles fait venir la jeune fille à Vienne ? Non, sans doute. Les journaux étaient toujours à l'affût de ragots. L'apparition d'une jeune Habsbourg – ou Wittelsbach ? – sortie de nulle part n'aurait pas manqué de susciter nombre de supputations.

La porte de la chambre s'ouvrit à ce moment, obligeant Arpad à se ressaisir. Il se leva et s'efforça d'arborer un visage souriant. De la façon dont les choses seraient présentées, dépendrait la docilité de Veronika.

« Vous sentez-vous assez reposée pour sortir ? lui demanda-t-il aimablement.

— Je suis en pleine forme et impatiente de visiter Vienne. »

Son visage traduisait un bonheur béat, comme la veille face à ces imbéciles de paysans qui l'avaient prise pour Sissi. Quel sacrilège ! À leur décharge, ils la voyaient de loin, pas de près comme lui.

« Désolé de vous décevoir, dit-il, ce n'est pas pour se promener. Nous avons un but bien précis.

— J'ai compris, l'impératrice va me recevoir. – Veronika souleva les plis de sa jupe – je dois me changer. Je ne peux pas se présenter à elle dans ce costume froissé.

— Peu importe, nous n'allons pas à la Hofburg mais chez le photographe.

— Le photographe ? Pourquoi, grands dieux ? »

En dire le moins possible. Sa tante en avait de bonnes ! Veronika n'était pas une idiote complète, prête à tout gober. Arpad réalisa qu'il allait devoir lui dire la vérité, du moins une partie.

« Le comte Esterhazy a demandé un portrait de vous, fit-il d'un ton le plus naturel possible.

— Un portrait...de moi ? Mais je ne le connais pas.

— Peu importe, répliqua Arpad, mi agacé, mi attendri par tant de naïveté. Lui, désire vous connaître. Il pense que vous feriez une bonne épouse pour son neveu. »

La fille du dimancheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant