Chapitre IV (1)

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Veronika ne se souvenait pas d'avoir rêvé, encore moins d'avoir prononcé des paroles dans un demi-sommeil. À peine étendue sur le lit étroit, elle avait eu la sensation de couler à pic. L'effet du vin de Moselle dont elle avait abusé ? Arpad Ferenczy devait avoir une piètre opinion d'elle. Il était déjà debout, à en juger par les bruits provenant de derrière le rideau. Veronika s'extirpa de la tiédeur des draps et avisa une minuscule cuvette de faïence accompagnée d'une aiguière : idéal pour une toilette sommaire. Elle tira d'une petite trousse un savon et une éponge et commença à se débarbouiller. Le contact de l'eau glacée la ragaillardit. Elle se coiffa et s'habilla en hâte. Ne disposant pas de femme  de chambre, elle savait très bien se débrouiller seule.

Lorsqu'elle sortit du coin repos, vêtue de son costume de la veille, Arpad – elle le nommait ainsi dans son for intérieur – se rasait devant un miroir de poche. Sur la banquette, un nécessaire de toilette ouvert, laissait apparaître des accessoires en écaille. Le spectacle des joues recouvertes d'une mousse abondante fit sourire la jeune fille. 

« J'ai l'air d'un clown, dit-il. J'aurais préféré me montrer sous un jour plus présentable.

— Cela ne me gêne absolument pas. »

Au contraire, aurait-elle pu ajouter, tant cette mousse conférait à Arpad un charme supplémentaire. Quand la lame dégagea la fente du menton Veronika eut l'impulsion subite d'appuyer ses lèvres sur la surface lisse comme du satin. Son regard descendit jusqu'au cou musclé, puis glissa plus bas, à l'endroit où des poils sombres et frisés émergeaient du col ouvert de la chemise. La jeune fille dit, d'une voix un peu tremblante :

« Je vous ai laissé de quoi faire vos ablutions.

— Ah ! merci, dit-il, inconscient de l'émoi qu'il avait suscité. Nous arrivons en Bavière ; vous allez découvrir d'incroyables panoramas sans descendre du train. »

Il était plus aimable, quoique toujours distant, appliqué à dresser entre eux une barrière infranchissable. Pendant qu'il terminait sa délicate opération, Veronika jeta un coup d'œil à la vitre. Le lieutenant n'avait pas exagéré la beauté de la Bavière, patrie de l'impératrice. L'express traversait de verts pâturages entrecoupés ça-et-là de forêts de sapins et de bosquets avec de temps à autre, un lac miroitant ou un château de féerie. Arpad signala par un toussotement qu'il était prêt. Le cheveu lissé par l'eau, le visage glabre, la cravate impeccablement nouée arrachèrent à Veronika un soupir involontaire. L'élégance du jeune homme la faisait paraître encore plus quelconque, insignifiante. Elle oublia son accès de mélancolie devant le copieux petit déjeuner du wagon restaurant, puis ils réintégrèrent le compartiment. Les rails étaient maintenant bordés de champs cultivés.

« Des céréales et du houblon, précisa Arpad. La bière bavaroise est renommée dans toute l'Europe. »

Il s'installa sur la banquette et tira de sa poche un petit carnet où il se mit à noter quelque chose : peut-être ses impressions de voyage. Veronika n'osa pas lui poser la question. Le train se mit à ralentir. Quelques paysans suspendirent leur tâche en cours pour adresser aux voyageurs de joyeux signes de la main. Veronika leur rendit la pareille avec enthousiasme. Ce n'est pas en Angleterre qu'on aurait pu observer semblable comportement. Ses compatriotes étaient si flegmatiques ! Sans doute devait-elle sa spontanéité à son ascendance maternelle. Appuyée contre la vitre, elle fit mine de leur envoyer des baisers.

Tout à ses travaux d'écriture, Arpad n'avait pas remarqué le manège. Le train ralentit encore. Le nombre de gens groupés le long des voies grossissait au fur à mesure de sa progression. Certains demeuraient bouche-bée ; d'autres se découvraient au passage du train ou jetaient leur chapeau en l'air. Des enfants avaient cueilli des fleurs, qu'ils agitaient en cadence. Le bruit de la locomotive et l'épaisseur de la vitre empêchaient Veronika d'entendre les cris de joie.

La fille du dimancheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant