Chapitre IX (2)

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L'ouverture de la même porte l'éveilla. Quelqu'un entra d'un pas menu, accompagné d'un froufrou soyeux. Des rideaux furent tirés, répandant la clarté du jour dans la pièce. Veronika ouvrit enfin les yeux. La baronne Shönborn déposait un plateau sur ses genoux. De petits pains viennois et un assortiment de confitures voisinaient avec un pot de café fumant.

« J'ai pensé que vous auriez faim, dit la jeune femme. »

— Oh ! merci ! Vous êtes bonne. Ce n'est pas comme... »

Veronika s'interrompit, elle avait failli citer Marie Larisch. L'amie d'Arpad n'avait rien de commun avec cette vipère. Les mines et les sourires sucrés de Marie dissimulaient sa fausseté alors que le visage de la baronne était un livre ouvert. Et surtout, ses prunelles marron, posées sur Veronika ne reflétaient aucune curiosité déplacée.

« Vous devriez vous restaurer, fit-elle. Ensuite, je vous donnerai du linge et une robe de rechange. Ma sœur Gisela qui est à peu près de votre taille a laissé quelques vêtements à son dernier passage. »

Malgré ses préventions vis-à-vis du café, la jeune fille en avala au moins trois tasses. Ce breuvage méritait d'être découvert. Quant au pain viennois, il était tout frais et les confitures délicieuses.

« Je les fabrique moi-même, à mes heures perdues », la renseigna la baronne.

Elle s'était assise sur le lit, en une pose pleine de grâce. Devant tant de qualités, Veronika prit conscience une fois de plus de ses propres insuffisances. Pas étonnant qu'Arpad lui préférât une femme accomplie. Elle posa le kaisersemmel où elle avait mordu et soupira : 

« Moi, je n'ai aucun don particulier ; je suis même un poids mort pour les autres.

— Si vous pensez au lieutenant Ferenczy, je ne crois pas qu'il vous considère de cette façon.

— Vous êtes gentille, mais c'est vrai. Depuis notre départ d'Angleterre, je n'ai cessé de lui causer du tracas. »

Elle se tut, de peur de devoir se lancer dans des confidences embarrassantes. « Le lieutenant a promis de repasser dans la journée pour vous apporter des affaires indispensables, l'avertit la baronne. N'est-ce pas la preuve qu'il se soucie de vous ? »

Veronika admit en son for intérieur qu'elle avait raison. De plus, Arpad aurait très bien pu la laisser se débrouiller hier au lieu de voler à son secours.

— Oui, je suis sans doute injuste, reconnut-elle. »

La baronne la conduisit à la salle de bain de l'étage, équipée de l'eau courante et pourvue d'une véritable baignoire en zinc. Veronika n'avait jamais vu pareil confort. Chez les Hartnell, le cabinet de toilette était rudimentaire ; idem Josefstrasse. Tout en extrayant d'une armoire un paquet de serviettes à l'aspect mœlleux, la baronne expliqua

« J'ai fait installer ces commodités au décès de mon époux. Wilhem était rétif aux innovations. »

Sa robe noire ne procédait donc pas de la coquetterie, mais d'un deuil récent. Elle n'avait pas mis longtemps à se consoler. Comme si la baronne avait lu dans les pensées de Veronika, elle précisa : « Il était vieux et malade ; notre union avait été décidée sans me consulter. »

Consciente d'avoir porté un jugement trop hâtif, Veronika s'écria :

« Je comprends mieux, maintenant.

— Qu'est-ce que vous comprenez ? demanda la baronne d'un air amusé.

— Vous et Arpad. Ce doit être merveilleux de vivre un tel amour après un mariage de convenance. »

La fille du dimancheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant