One shot - Un homme à femmes

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Vendredi 23 novembre 1917, une petite ville en Seine et Oise (* note en fin de page).


Albert tapa bruyamment ses pieds sur les trois marches d'escalier accédant au petit pavillon et, avant d'entrer, secoua soigneusement son chapeau tout poudré de neige.

Il en était tombé une bonne couche.


Une fois à l'intérieur il entendit la voix de Colette, son épouse, crier depuis l'étage :

- Essuie tes pieds comme il faut, hein !

- Oui oui, ne t'inquiète pas, je me déchausse.


Sa femme était à cheval sur la propreté, il ne fallait pas plaisanter avec ça sous peine d'en essuyer les foudres.

Essuyer, ah ça oui, on pouvait parler d'essuyer : toujours le chiffon, le balai ou la serpillière à la main.


Il déballa les quelques courses sur la table.

C'était un homme moderne : depuis sa mise à la retraite, il faisait les commissions.

Oh, il n'y avait certes pas un long chemin à parcourir : la commune était si peu étendue qu'il pouvait aller au bourg à pied, là ou se serraient les quelques petits commerces.


Colette entra dans la cuisine et vérifia s'il avait bien acheté tout ce qui figurait sur la petite liste. Car c'était bien connu : un homme, ça n'a pas d'idée pour le fonctionnement de la maison, il faut tout lui noter !

Cette fois, il n'avait rien oublié.

- Tiens, j'ai vu le monsieur de la villa Tric, dit Albert.

- Ah ? En bonne compagnie je suppose, lui demanda Colette d'un ton plein de sous-entendus.

- Comment as-tu deviné ? dit-il en riant. Eh oui, en bonne compagnie, comme d'habitude ! Il arrivait, une jolie femme au bras, avec les bagages pour le week-end. Ils repartiront pour Paris dimanche ou en début de semaine je présume.

- Ils avaient pris un fiacre ?

- Oui, bien sûr, avec les bagages cela fait tout de même une petite trotte depuis la gare. Il n'était pas venu depuis la fin août, je m'en souviens.


La « villa Tric » était un pavillon situé sur la droite du leur, un peu à l'écart, le dernier avant de sortir de la commune. Tout le monde l'appelait comme ça parce qu'il appartenait à un dénommé Tric qui, pour l'heure, le louait à cet homme venant y passer des week-ends visiblement galants.

Une garçonnière campagnarde de luxe, en quelque sorte.


- Quel homme à femmes, tout de même ! dit Colette.

- Ah, pour ça oui ! Je me demande ce qu'elles peuvent bien lui trouver : à part quelques rares cheveux qu'il porte en couronne autour du crâne, il n'a plus un poil sur le caillou et puis cette barbe...

- Hum, moi je ne le trouve pas si mal. Il a quelque chose d'indéfinissable, un certain charme qui plaît aux dames. Et puis, pour le peu que j'en ai vu, il est toujours très bien mis : nœud papillon, redingote, chaussures de luxe, chapeau...


Albert se rembrunit. Il n'aimait guère que sa femme s'ouvre ainsi au sujet d'autres hommes.

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