Dans une ville de France, début 1434.
Il est des hommes que leur crime conduit devant le bourreau. Pour leur plus grand malheur car généralement on ne revient pas de ce genre de consultation, ou du moins pas indemne.
En ce qui me concerne, de façon singulière mon –double- crime ne m'aura pas conduit devant le bourreau de la ville, mais à en prendre la place.
Oh, ce n'est pas qu'au début cela fit mon bonheur, loin de là :
Tout d'abord le bourreau, pourtant dûment mandaté comme exécuteur des décisions de justice et rouage indispensable de la machine à réprimer les méfaits de toutes sortes, n'en est pas moins, aux yeux de la populace, exécré et traité comme un paria. Allez savoir pourquoi...
Et puis surtout, d'un point de vue « technique » si l'on peut dire, ce n'est pas un métier facile : il requiert une indéniable dextérité ainsi qu'un certain détachement par rapport aux circonstances.
Pour parler plus simplement, cette charge nécessite d'avoir le cœur bien accroché.
Les candidats sont d'ailleurs fort peu nombreux et il arrive même que le poste de titulaire reste vacant, obligeant à recourir aux prestations de bourreaux d'autres villes en cas de nécessité.
Ceci étant dit, vous ne pourrez sûrement pas m'en vouloir d'avoir choisi le rôle de celui qui est chargé d'expédier dans l'au-delà ceux qu'on lui confie à cette fin plutôt que le rôle de celui qui y est lui-même expédié.
Comme cela aurait dû normalement être.
Car oui, j'ai eu le choix.
Voici l'histoire :
Il y a trois ans environ, au tout début de l'année 1431, je commis l'erreur de boire plus que de raison dans une taverne en compagnie de deux hommes qui, sous l'apparence de joyeux drilles, s'avérèrent n'être que de fieffés malandrins : car quand le gargotier eut fermé ses portes après nous avoir jetés dehors, les deux compères s'avisèrent d'essayer de me soulager de ma bourse, laquelle contenait quelques pièces que je leur avais bien imprudemment montrées lors de notre beuverie.
Je ne doute pas qu'en même temps que les cordons de mon escarcelle, ils m'eussent aussi coupé la gorge avec un mauvais couteau qu'ils tenaient si je n'avais été de fort robuste constitution, en témoigne mon métier de bûcheron et, surtout, si je n'avais porté sur moi selon une vieille habitude une courte lame à l'aide de laquelle je les lardai copieusement, les laissant tous les deux raides sur le pavé.
Hélas, une patrouille du guet qui passait par là ne vit que la fin de l'affaire et je me retrouvai promptement emmené dans une geôle pour y tâter de la paille humide en guise de paillasse.
Peu soucieux d'être soumis à la question, je n'eus d'autre issue que d'avouer mon forfait et, même si au fond de moi j'étais persuadé d'avoir rendu service à la société en expédiant ad patres ces deux coupe-jarrets qui ne devaient pas en être à leur coup d'essai, ce ne fut pas l'avis du juge Masseboeuf : ce double meurtre signait mon arrêt de mort.
Il me condamna à être pendu en place publique, haut et court.
En quelque sorte, je m'en tirais bien : le bourreau, après m'avoir passé la corde au cou et pendu à la potence, sautillerait sur mes épaules en pesant de tout son poids, le temps que mes vertèbres cervicales cèdent, me coupant la moelle.
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One shots Collection
Short StoryUn recueil d'histoires courtes, ces fameux "one shots" en un chapitre. Cela ne veut pas dire qu'elles sont bâclées, bien au contraire. Lisez la première, "Indochine", vous verrez...