L'océan était étonnamment calme ce matin.
Seul un léger clapot ridait la surface de l'eau et de minuscules vaguelettes venaient à peine lécher l'estran.
Ce devait être marée basse, pensa Sylvain en voyant le sable mouillé.
Le soleil montait doucement au dessus de l'horizon, inondant la plage d'une pâle lumière rose magnifique.
Par ce temps clair on distinguait nettement, au loin là-bas, l'Ile d'Aix avec, juste devant, la silhouette caractéristique du fort Boyard.
Sur la droite, plus loin encore, on devinait la masse sombre et aplatie de l'Ile d'Oléron dont la pointe se terminait par le phare de Chassiron, bien visible lui.
Un beau paysage bien dégagé que ne venait troubler aucun bateau de plaisancier à cette heure matinale.
Sylvain connaissait cette vue par cœur mais ne s'en lassait pas. Les couleurs n'étaient jamais les mêmes.
Combien de fois pourrait-il encore contempler ce sublime lever du jour, ne put-il s'empêcher de se demander. Avec la saloperie qu'on venait de lui diagnostiquer, sans doute pas bien longtemps.
Cancer du rein, métastasé.
Il avait fait des recherches, avec internet c'était désormais facile. Et ce qu'il découvrit lui donna froid dans le dos : sur ce genre de truc pris à un stade aussi avancé, même en retirant rapidement le rein et la tumeur l'affectant, seuls 10 à 15 % des malades sont encore vivants au bout de deux ans...
Il se força à ne plus y penser et respira l'air iodé à pleins poumons, écoutant les cris stridents des mouettes.
Lorsque le soleil quitta sa belle teinte orangée pour commencer à briller vraiment, il se leva, ôta ses chaussures et descendit sur la plage dont le sable était encore froid de la nuit.
Marchant un peu courbé, il se mit à la recherche de ses trésors habituels : des morceaux de verre usés, polis par la mer et le sable du ressac.
A chaque fois qu'il venait, il en trouvait de nouveaux, de toutes sortes et de toutes tailles, apportés là par la marée.
Sa femme Eléonore les utilisait pour décorer de gros pots à fleurs en terre cuite qui prenaient ainsi de singulières allures multicolores avant d'accueillir des agaves bleus du Mexique.
Cela constituait une sorte de prétexte, de nuance qui lui plaisait : au lieu de venir à la plage voir le lever du soleil en ne faisant rien, Sylvain venait là ramasser des verres polis et en profitait pour admirer le lever du soleil...
La plage n'était pas bien grande et, contrairement aux deux autres que comptait la ville, qu'on nettoyait le soir ou au petit jour avec un tracteur tirant une sorte de herse, ici, quelques employés municipaux passaient grossièrement un coup de râteau à la main. Cela suffisait.
Il trouva quelques tessons de bouteille verts et un ou deux autres bleus, tout usés et plats comme des caramels mous qu'on aurait sucés puis aplatis contre son palais avec la langue. C'était là ce qu'on ramassait le plus fréquemment, les autres couleurs étant plus rares.
Arrivé quasiment au bout de la plage, il allait faire demi-tour le long des énormes rochers constituant les bases de la grande digue lorsque l'éclat d'un nouveau morceau de verre attira son regard.
Une chance qu'il l'ait vu, pensa-t-il, car le tesson brillant, rouge cette fois, avait été presque entièrement recouvert de sable, sans doute une heure plus tôt par le râteau des employés chargés de traquer mégots et autres immondices abandonnés la veille par les baigneurs.
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One shots Collection
Short StoryUn recueil d'histoires courtes, ces fameux "one shots" en un chapitre. Cela ne veut pas dire qu'elles sont bâclées, bien au contraire. Lisez la première, "Indochine", vous verrez...