One shot - Les chiens

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Ce « one shot » n'est pas, stricto sensu, une nouvelle : il ne s'agit pas d'une fiction puisqu'elle s'inspire -plus ou moins fidèlement- de faits authentiques.

Lire la note de l'auteur à la fin du récit (et après avoir fini de lire celui-ci bien sûr, sous peine de se spoiler).

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Mon cousin Daniel écarta un peu plus les joncs, tout doucement et, avec d'infinies précautions, il pointa son index vers un endroit situé dans l'eau, près de la berge.

- Regarde, elle est là, me fit-il dans un souffle.


J'écarquillai les yeux pour essayer de distinguer, dans les reflets changeants du courant, ce qu'il essayait de me montrer.

C'est alors que je la vis.

Mon cœur se mit à battre la chamade. Daniel ne m'avait pas menti : près du fond, comme posée sur le fin gravier, presque immobile, ondulait lentement une énorme truite fario dont on pouvait se demander ce qu'elle faisait là, dans ce minuscule cours d'eau serpentant entre la végétation et qui tenait plus d'un gros ruisseau que d'une véritable rivière.

Il me semble qu'il s'agissait d'une sorte de petit bras secondaire de la Loue.


J'avais bien sûr déjà vu de belles truites, notamment chez mes grands-parents, à Genlis, où la Norges passait directement dans le jardin, mais un spécimen pareil, jamais.

Un poisson magnifique, semblant presque irréel, inaccessible.


Il faut dire que l'endroit, aussi, était véritablement enchanteur en ce matin ensoleillé du mois d'août, avec cette nature qui explosait de vie.

Tout ici me paraissait nouveau et merveilleux, telles notamment ces libellules bleues et vertes aux reflets métalliques que mon cousin nommait des « demoiselles » et qui, sans crainte aurait-on dit, se posaient partout, même sur moi.

L'air tout entier, d'ailleurs, bruissait du battement des ailes, des élytres, des pattes de myriades d'insectes inconnus de moi et dont, enfermé dans ma vie aseptisée et insipide de la ville, je n'avais jamais même imaginé ne fût-ce que l'existence.

Cela sentait la menthe sauvage, le foin coupé et le bonheur.


A cette époque, à partir de 1966-1967 et les deux ou trois années qui suivirent, mes parents envoyaient chaque été le citadin pâlot que j'étais finir les grandes vacances au bon air du Jura, c'est-à-dire dans l'immense maison de mon oncle située à Villers Farlay et qui était alors un bien de famille.

Imaginez : une dizaine de chambres, un très grand parc clos planté d'arbres fruitiers, un bois, une mare et... mes cousins.

La chasse aux oiseaux, la pêche, la cueillette des fruits, les foins. De quoi m'émerveiller de tout, à chaque instant...


Mon cousin laissa les joncs se refermer sur la vision de la truite et, les jambes à l'air dans nos culottes courtes, nous reculâmes lentement à quatre pattes jusqu'à nous retrouver hors de vue de l'eau.

- Il ne faut surtout pas qu'elle nous voie, me dit Daniel d'un air docte en pointant l'index en l'air, sinon c'est foutu, elle ne mordra pas. Alors ne te montre pas et ne fais pas de bruit.


Nous étions venus là à vélo, apportant dans une équipée hasardeuse une musette de pêche et deux cannes en bambou séché censées servir de gaules.

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