One shot - Le chef

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Marc GAUTIER représentait pour moi l'archétype du gars détestable.

Vous savez, le genre de personnage que vous avez envie de passer morceau par morceau dans une petite moulinette à persil, tout doucement pour qu'il souffre le plus possible.

Fanfaron, immodeste, menteur, dépourvu de toute forme de tact et de scrupules, lèche-bottes prêt à tout pour se faire bien voir du patron, manager déplorable et tyrannique mais se croyant brillant, il me paraissait cumuler tous ces défauts, et cela en regardant les choses en toute objectivité me semblait-il.

Le plus gros problème résidait toutefois, sans conteste, dans le fait qu'il était mon chef et que je n'y pouvais rien, du moins jusqu'aux évènements qui allaient suivre.

On avait dû lui enseigner, je suppose, dans l'école de commerce qu'il avait évidemment fréquentée, des méthodes visant à diriger une équipe de collaborateurs. Sans doute quelques recettes toutes faites qui fonctionnaient sur le papier et qu'il croyait infaillibles pour peu qu'il les accommode à sa sauce, persuadé qu'il était de détenir une intelligence supérieure.

C'est ainsi qu'il s'était par exemple entiché d'imposer à toute l'équipe des week-ends hors de l'entreprise destinés, selon lui, à renforcer l'esprit de cohésion, à fédérer les synergies du groupe comme il disait.

Périodiquement, nous nous retrouvions donc tous convoqués, jeunes et moins jeunes, avec présence obligatoire sauf justification en bonne et due forme, à des séances d'accrobranche, de ski, d'escalade, d'équitation, et que sais-je encore...au gré de son imagination.

Ces sessions, loin de renforcer la cohésion du groupe à mon avis, constituaient surtout pour lui qui était sportif l'occasion de tourner en ridicule ceux qui, à ses yeux, ne tiraient pas correctement leur épingle du jeu, soit parce que leur forme physique faisait défaut en l'absence de pratique d'activités sportives régulières, soit parce que leur morphologie ne se prêtait pas à l'exercice demandé, soit parce qu'ils avaient passé l'âge, soit pour toute autre raison.

Me concernant, cette autre raison avait pour nom vertige. Je n'y puis rien, je suis comme ça depuis mon enfance : dès que je monte plus haut que sur un escabeau, disons en tout cas à plus de deux ou trois mètres du sol, je suis saisi d'une peur panique du vide.

Aussi, si je tenais à peu près sur des skis ou sur un cheval, il n'est pas difficile d'imaginer la terreur que m'inspirait une journée d'escalade ou encore d'accrobranche, exercice consistant à se balader dans les arbres sur des cordes tendues à vingt mètres du sol.

Certes, en théorie je ne risquais rien de grave puisque ces activités se pratiquaient en étant assuré par un harnais, mais c'était plus fort que moi.

Le vertige, ça ne se contrôle pas.

Ayant pris conscience depuis longtemps de ma peur incoercible, GAUTIER prenait un malin plaisir à m'envoyer sur les exercices les plus impressionnants possibles.

Je devais alors subir ses quolibets, sous les rires gênés de mes collègues qui –pas tous cependant- compatissaient à mon malheur.

Ensuite, j'en avais pour au moins deux semaines à essuyer ses moqueries, pour ainsi dire à chaque fois qu'il me croisait.

Il m'apostrophait dans les couloirs, devant tout le monde : « Alors, Tarzan, ça va mieux ? ». Ou encore : « Ah, voilà notre acrobate funambule ! »...

Pire encore : il devint peu à peu évident que mon manque de dispositions pour les activités que GAUTIER nous imposait, spécialement celles liées à la peur du vide, avait un retentissement sur sa vision de mes compétences professionnelles. En clair, quelles que soient mes compétences au bureau, et je pense que celles-ci n'appelaient aucune critique, elles étaient obérées aux yeux de GAUTIER par mon manque de réussite lors de ses séances extraprofessionnelles : dans sa tête, quelqu'un d'aussi peureux et nul en accrobranche ne pouvait en aucun cas être un bon juriste d'affaires...

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