Chapitre 4

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Son souffle se bloqua dans sa trachée. Elle expira l'air de ses poumons, releva ses yeux dont ne transparaissaient que la colère et l'humiliation. Elle rangea les photos loin d'elle et chercha à la place le bloc compact de feuilles qui constituait le dossier. Elle lut rapidement la première feuille, il s'agissait d'un dossier détaillé de

ses parents.

Sa mère était irakienne, une belle femme d'ailleurs, des traits fins flanqués sur un visage ovale. De longs cheveux sombres légèrement ondulés et des prunelles de la même couleur.

Il était son portrait craché, un peu masculinisé quand même.

Elle survola rapidement le texte, une professeure d'université à la renommée mondiale blablabla, mais un paragraphe attira son attention.

Samira Malhef suivit de 1991 à 1993, le programme d'incorporation de l'AWRC, (Advanced weapons research center) Centre de recherche en armement de pointe sous le mandat de Parker Senior, qu'elle quitta précipitamment en Novembre 1993.

Pourquoi avait-t-elle quitté une institution pareille, qui lui promettait un poste extrêmement bien payé et convoité?

La dernière information concernant Samira Malhef, nous a été communiquée par nos infiltrés en Suède. Elle s'y serait rendue, seule, son mari et son fils étant, quant à eux, restés aux U.S.A. Nous la soupçonnons de s'être suicidée là-bas, bien que cette information n'ait jamais été confirmée.

Intéressant, sa mère avait donc fait partie de l'élite scientifique pour avoir été appelée par l'AWRC. Elle remonta rapidement le texte des yeux. C'était une spécialiste en nano-informatique, autrement dit la technologie informatique à l'échelle atomique.

Angel avait entendu parler de tout ça, Parker Senior avait fait venir les plus éminents chercheurs de ce monde en Amérique. Ils faisaient partie d'un programme nommé MCP.

Parker père était un homme belliqueux, toujours prêt à faire la guerre partout sous prétexte de défendre la nation. Quel bel abruti, souffla Angel. Elle l'avait rencontré de nombreuses fois. Les Rockwell avaient un pouvoir sans limite, les présidents eux-mêmes se pliaient à leurs volontés.

Elle se posa donc une question logique. Pourquoi son père n'avait pas stoppé le carnage que faisait Parker alors qu'il en avait la possibilité. La réponse fut encore plus logique, parce que ça lui rapportait de l'argent.

Elle secoua la tête, dégoûtée, mais décida de ne pas se préoccuper de sa conscience. Elle poursuivit sa lecture, les pages suivantes étaient toutes consacrées à Samira Malhef. Des extraits de ses publications dans différentes revues scientifiques dont le très célèbre Science, dans lequel elle publiait régulièrement.

Elle lut la page suivante, noircie par les minuscules caractères qui la recouvraient et entrouvrit la bouche de stupéfaction. Il s'agissait d'un texte destiné à la publication mais qui, pour une raison ou une autre, n'avait pas été rendu publique. Le fait qu'elle ait été choisie pour participer à MCP lui paraissait soudain évident.

Malhef avait apparemment créé un matériau révolutionnaire qui permettait de s'infiltrer à travers les pores de la peau sans être détecté par le système nerveux de son hôte.

C'était magistral, tout simplement magistral. La découverte de cette femme pouvait être appliquée à une infinité de domaines. Ce fut le pire scénario qui lui vint à l'esprit, l'armement.

Tuer n'importe qui sans même qu'il ne s'en rende compte, c'était vicieux, honteux même, mais ils s'en fichaient, ils trouveraient toujours une clientèle.

Angel repoussa son fauteuil du bureau, elle se remit à arpenter le vaste espace. C'était tout simplement effrayant de savoir que cette incroyable technologie avait pu atterrir entre les mains de cette crapule de Parker. Cet homme était mauvais, elle le savait bien, mais heureusement il était à présent vieux et gâteux. Malheureusement son fils lui, ne l'était pas. Elle soupira, lasse, il lui fallait en savoir plus sur cette histoire et elle savait exactement à qui s'adresser pour ça.

Elle retourna sur ses pas et attrapa un petit objet gris, une sorte d'interphone qui lui permettait de communiquer avec sa secrétaire.

-Oui...Dites lui ce soir, vingt-deux heures au Allerton Hotel sur Gold Coast, ordonna-t-elle, merci Liana.

Elle ne tenait pas à le voir dans le cadre stricte et froid du Central Business District où était placé le quartier général de l'empire Rockwell.

Il était symbolisé par une tour, immense, trois cent cinquante mètres de verre et d'acier qui dominaient toutes les autres. Un symbole de leur pouvoir, d'un pouvoir sans limite, jalousement conservé et transmis de génération en génération depuis plus de trois siècles.

Postée devant l'immense baie vitrée qui noyait la pièce de lumière, Angel contemplait la vaste skyline qui s'étendait sous ses yeux. Dire que tout cela lui appartenait, c'était incompréhensible, elle secoua la tête. Cet héritage était trop encombrant, il lui arrivait souvent de regretter d'être ce qu'elle était. Elle n'avait pas de vie, enfin si, mais elle se résumait à chercher incessamment à gagner plus d'argent en détruisant tout sur son passage. Elle n'était pas à plaindre, loin de là, mais pas à envier non plus.

Si son père était toujours vivant, il lui ferait son éternel sermon, un souvenir envahi brusquement son esprit.

Son père était face à elle, dans la cuisine du manoir et se lavait les mains. Il portait une parka kaki, assorti à un pantalon militaire. Il revenait de sa partie de chasse du dimanche.

Il se retournait et attrapait une petite serviette. Il regardait intensément sa fille. Tout en se séchant les mains, il commença.

-Angel, le monde est fait ainsi, et ne peut être autrement. Il y a ceux qui le dirigent, ceux qui le suivent et ceux qui le subissent. Nous sommes là pour prendre les décisions ma fille, et quand je ne serais plus là, tu me remplaceras.

- Je connais tes réticences, mais n'oublie pas qu'un troupeau de moutons est perdu sans son berger...

La jeune femme souffla tristement. Elle lui avait demandé pourquoi les gens la dévisageaient de cette manière quand elle se présentait. A l'époque, elle n'avait que huit ans et détestait entendre son père lui parlait comme à une enfant –même si elle en était indéniablement une-, mais en cet instant, elle donnerait tout pour entendre sa voix, juste une fois.

Elle fut tirée de ses pensées par Liana, sa secrétaire, qui vint lui annoncer que son prochain rendez-vous l'attendait.

Corps Industrie voulait obtenir le financement de leur projet d'exploration des fonds marins. Le conseil d'administration était contre mais elle avait flairé un bon coup et tenait à entendre leurs arguments.

Ils prétendaient, bien évidemment, organiser cette expédition au nom de la découverte scientifique. Mais les réserves de pétrole qu'abritait l'océan étaient plus intéressantes qu'une grosse pieuvre des profondeurs.

Elle ferma les yeux, sa tête semblait prise dans un étau, elle n'arrivait plus à réfléchir.

Toujours absorbée par le paysage aérien de Chicago, elle finit pourtant par capter le bruit de la fermeture des doubles portes. Une onde traversa son corps et provoqua des frissons sur son passage. Elle eut un mauvais pressentiment, mais refusait de se retourner, de peur de voir.

Elle n'eut pas besoin de ses yeux pour confirmer sa pensée.

Une douce fragrance l'envahit. D'abord l'odeur alléchante de l'iris de Toscane, qui rappelle le pain chaud, mélangée au plus subtil cuir russe, et ses notes chaudes de bois brulé. Dior homme. C'était la signature silencieuse de sa présence.

-Mademoiselle Rockwell, c'est un plaisir de vous revoir.

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