Chapitre 9

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Angel attendait depuis dix minutes. Elle mourrait de faim et Jawaad avait proposé de lui apporter quelque chose.

Elle frotta ses mains gelées l'une contre l'autre. Elle avait pourtant allumé le chauffage de la suite au moment même où elle y avait pénétrer avec Jawaad et un homme du room service. Il l'avait d'ailleurs dévisagée étrangement en la voyant descendre de l'hélicoptère pieds nus et en nuisette.

Elle devait avoir l'air d'une folle tout droit évadée d'un asile. Elle était épuisée, le cercle foncé qui ornait ses yeux le prouvait et ses cheveux étaient en pétard comme à chaque fois qu'elle s'endormait en les laissant détachés.

Elle secoua la tête, son apparence l'importait peu en ses circonstances. Le plus important était de mettre de l'ordre dans ses idées. Quelqu'un avait tenté de l'abattre et elle savait que Jawaad y était pour quelque chose. Sa conscience lui hurlait dessus, si tu le sais pourquoi ne prends tu pas tes jambes à ton cou, petite idiote. Oui, elle en était persuadée, mais il fallait qu'elle lui parle car lui en savait beaucoup plus. Elle était donc calmement assise sur le sofa quand il franchit le seuil de la porte, chargé de sachets en papier. Ses intestins émirent un son étrange, comme s'ils avaient immédiatement réagi à l'odeur de viande grillée qui émanait des sachets.

Il s'avança jusqu'à la table basse et étala la nourriture. Il sortit plusieurs hamburgers, quatre portions de frites, et un tas d'autres cochonneries qu'Angel ne connaissait pas.

-Tu comptes nourrir qui comme ça ?

-Toi et moi, il se reprit, enfin surtout moi.

Elle rit doucement, et attrapa un des hamburgers. Elle devait bien l'avouer, le mélange de glutamate et d'arôme de synthèse était tout simplement addictif.

- Parlons sérieusement. Qu'est-ce-que je fais ici ?

Jawaad la jaugea en avalant quelques frites.

-Tu sembles avoir compris que quelqu'un te veut du mal, et je devine à ton regard que tu me soupçonnes. Il avala une bouchée de son wrap, mais je t'assure que je ne te veux pas de mal. Au contraire je suis là pour te protéger.

Angel plissa des yeux.

-Toi, me protéger ? C'est une blague.

-Je rectifie, pas toi personnellement, mais disons que j'ai besoin de toi en vie pour me conduire à ce que je recherche.

- Nous y voilà, dit-elle en levant les yeux au ciel. Donc tu recherches MCP et selon toi je le possède.

Angel réfléchit un instant, qu'est-ce qu'il adviendrait d'elle si elle le lui confiait, si tant est qu'elle l'ait.

-Effectivement, tu as deviné. Je veux que tu me confies ces documents.

Jawaad la regarda s'esclaffer, elle riait jaune.

-Mais qui es-tu pour pouvoir exiger quoi que soit de moi, cracha-t-elle.

Angel n'était pas réputée pour sa sympathie, mais elle se surprit elle-même du ton qu'elle avait employé. Elle n'était pas la seule surprise, Jawaad la dévisageait comme s'il allait la dévorer. Il savait qu'il ne devait pas tenter de la faire chanter pour obtenir quelque chose, il devait l'amadouer.

-Angel, tu n'as aucune idée de ce qui se passerait si cette arme tombait entre de mauvaises mains.

-Tu t'estimes être un bon samaritain peut-être ?

Jawaad inspirait profondément pour ne pas s'énerver. Il était du genre bourrin, réagissant au quart de tour, et, face à Angel, le peu de self-control qu'il possédait s'envolait.

-S'il-te-plait, laisse moi parler sans m'interrompre. Je suis désolé de te causer tout ce tord, vraiment, mais je travaille pour une institution que tu dois bien connaitre vu le dossier détaillé sur moi que tu leur as commandé.

Angel acquiesça, mais s'en voulut de n'avoir pas lu la partie le concernant directement. Il travaillait donc pour la NSA.

-Je suis le fils d'une chercheuse qui ne voulait que faire le bien.

Devant son regard interrogatif, il poursuivit.

-A la base, l'Anymite a été mis au point afin de délivrer des doses de principes actifs sans contraindre les gens à être piqués, étant donné qu'il est totalement indolore. Elle s'imaginait qu'il ne servirait qu'à cette utilité, malheureusement, durant l'hiver 1990, alors qu'elle apportait les dernières modifications à sa publication, son laboratoire fut pillé et brulé, toutes ses recherches détruites... Sur le groupe de huit chercheurs travaillant sur ce projet, elle fut la seule rescapée.

Angel s'était adoucie. Il semblait si fier et triste en parlant de Malhef qu'elle eut un pincement au cœur.

-Tu le sais déjà, MCP fut créé dans le but d'utiliser l'Anymite à des fins militaires. Leur rêve ultime étant de créer une balle de ce matériau, qui irait se loger dans la cible et serait contrôlée à distance via informatique.

Il mâcha longuement, visiblement absorbé par ses pensées.

-Théoriquement il serait possible de tout faire une fois les nano-puces passées dans le sang et le système nerveux.

-Pourquoi théoriquement ? Ça n'a pas été testé ?

Il secoua négativement la tête.

-Pourquoi ce programme a-t-il été créé si rien n'a été testé, c'est d'une inutilité qui n'est pas propre à nos services, et puis ces cents milliards à quoi ont-ils servi ?

Jawaad ne cessait de jeter des coups d'œil dans toutes les directions, il semblait tendu. Il ne la regarda pas dans les yeux alors qu'habituellement il la fixait avec arrogance. Angel en fut rassurée, ils étaient deux dans cet état.

-Il y eut beaucoup d'expérimentations, je te l'assure mais si tu veux tout savoir, cet argent a principalement servi à l'extraction de minerai couteux pour la fabrication de l'Anymite.

Angel passa ses doigts dans ses cheveux, séparant une à une de petites mèches brunes qu'elle laissa retomber devant ses yeux. Elle bouillonnait, cette histoire la fascinait tout en l'épuisant. Elle dormirait sûrement mal cette nuit -si seulement elle arrivait à dormir- mais elle avait besoin d'un bon lit moelleux et réconfortant.

Ils finirent tous deux leur repas dans un silence pesant. Angel se leva, chancela un instant, puis prit la direction de la chambre qu'elle avait aperçue en entrant.

La suite en possédait trois, toutes équipées de salle de bain privative. Elle pénétra dans la sienne, une vaste pièce d'ambiance baroque avec sa baignoire à vasque ornée de fioritures dorées. Elle fit couler l'eau chaude, en observant distraitement les volutes de vapeurs qui s'en dégageaient. Elle attendait un niveau d'eau correcte, accroupie à coté, les coudes posés pêle-mêle sur le rebord. Elle se sentait vidée de toutes ses forces comme après une de ses sessions de natation hebdomadaire.

S'immerger dans l'eau avait toujours eu un drôle d'effet sur elle, elle s'y sentait légère comme un oiseau.

Une fois totalement plongée dans le bain, elle s'effondra, en larmes. Elle ne pleurait pour rien de particulier, – à part peut-être sa tentative d'assassinat- juste pour relâcher la pression constante que supportait son squelette. L'implosion brutale et brève de son flegme.


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