Chapitre 14

28 3 0
                                    

Sur place, elle retrouva Jawaad qui vint immédiatement auprès d'elle. Elle eut un instant l'envie de le serrer dans ses bras car elle se sentait mal et avait besoin de réconfort, mais se ravisa. Elle devait garder une certaine image, surtout ainsi entourée par de hauts fonctionnaires de l'état.

La Salpetrière était bouclée de toute part par la police française. Sa longue allée centrale arborée était emplie de voitures de police garées en file indienne. A quelques mètres, des dames en pleurs tentaient de conter leurs témoignages entre deux soubresauts incontrôlés. Des sirènes hurlaient et annonçaient l'arrivée de renfort, alors que les agents déjà présents brassaient du vent.

Elle fut entourée par une petite dizaine de personnes, dont Kane et Jawaad, qui la conduisirent au deuxième étage du vieux bâtiment. Des rubans rouges –exactement les mêmes que ceux des films- barraient le passage menant au pôle « imagerie » où elle passait un scanner quelques heures auparavant. Ils l'avaient conduite dans une grande salle un peu à l'écart des autres où se trouvait l'imposante machine circulaire.

L'odeur ferreuse du sang parvint à ses narines et elle tenta de contrôler le haut-le-cœur qui menaçait l'expulsion imminente de son contenu stomacal. La scène était épouvantable. Toutes les cellules de son corps lui criaient de déguerpir au plus vite. Elle ne bougea pas d'un pouce.

Ils étaient tous entassés dans la salle et droit devant elle, derrière la cloison qui les séparait de la salle de contrôle, un macchabée


baignait dans son sang. La vitre de séparation était recouverte de petites gouttelettes d'hémoglobine qui ruisselaient.

Ses oreilles bourdonnaient et elle voulut prendre une grande inspiration mais se retint finalement. Comme dans les toilettes d'une station service miteuse où la forte odeur d'ammoniac vous répugne, l'air de la pièce semblait lourd et moite d'autant plus que le surnombre de personne consommait l'oxygène. Elle s'avança prudemment vers la porte de la salle de contrôle. Les ordinateurs qui reposaient sur le bureau étaient éclaboussés de fluides corporels, et les restes du Pr. Durand étaient éparpillés sur les murs.

C'était comme s'il avait implosé.

Un frisson parcourut son échine en voyant son corps en lambeaux, un trou béant à la place de la tête. S'en fut trop, Angel s'extirpa le plus vite possible hors de cette horreur. Elle s'appuya contre le mur du couloir, le buste en avant, prise de vertiges.

Quel genre de monstre était capable d'atrocités pareilles?

Elle n'en avait pas la moindre idée, et avait la drôle d'impression que les coupables étaient proches d'elle, qu'ils l'observaient, et qu'à tout moment ils surgiraient et lui réserveraient le même abominable sort. Elle commençait à paniquer, ses yeux injectés de sang inspectaient les lieux à la recherche de suspects. Elle vit Jawaad arriver droit sur elle et n'opposa aucune résistance quand il prit sa main et la tira d'ici. Ils marchèrent dans le silence le plus complet, Angel comprit qu'il l'emmenait sur le toit.

Ses mains se plaquèrent immédiatement sur son écharpe, tentant de conserver un maximum de chaleur quand elle sentit la froideur ambiante. Malgré cette température glaciale, elle se sentait bien, calmée et beaucoup plus détendue qu'il y a quelques minutes.

Elle s'approcha du bord et appuya ses cuisses sur le garde-fou, profitant de la vue. Une légère brise était perceptible mais Angel n'y prêta pas attention. Paris était beau le jour, mais la nuit, Paris était époustouflant. Angel avait toujours préféré la ville de nuit, ces milliers de petites lumières telles des lucioles scintillaient de mille-feux, le plus imposants des immeubles semblait au même niveau que les petites résidences, ils s'effaçaient tous pour laisser place à l'obscurité. Les étoiles les plus brillantes perçaient le ciel mais la plupart étaient invisibles à cause des lumières terrestres.

Jawaad, en retrait, regardait fixement la chevelure brune d'Angel virevolter dans les airs, perdue dans ses pensées. Même s'il avait été maintes fois confronté à la mort, lui non plus n'était pas prêt à voir ce spectacle morbide.

Il se posta à coté d'elle, les mains liées dans le dos. L'atmosphère oppressante avait laissé place à un calme lénifiant. Ils étaient là, tous les deux sur le toit de cet hôpital, l'horreur juste sous leurs pieds.

Elle se tourna vers lui et murmura si faiblement qu'il ne comprit pas sur l'instant. Et puis, croisant son regard, il comprit. Elle susurra un presque inaudible « merci ». Il hocha la tête, et elle vit les bords de ses lèvres se courbés en un minuscule sourire, un sourire sincère, le premier réel sourire qu'il lui avait lancée depuis leur retrouvaille.

Ils étaient restés de longues minutes immobiles, avant d'entendre un bruit sourd. Le bruit d'une porte qui se fermait lourdement.

Et juste après la voix ferme de Kane résonna.

-Nous te cherchions Angel, tu sembles oublier que ta vie est menacée, tu ne nous facilites pas la tâche tu sais.

Il parlait lentement, calmement, comme à une enfant dont on redoute la crise, et Angel sentait la colère montait puissamment en elle.

-T'ai-je, d'une quelconque manière, autorisé à me parler comme cela ?

Elle le regardait par-dessus son épaule, lui tournant toujours le dos. Elle prit sa voix la plus ferme, celle qui ne permet aucune discussion.

-Ecoute-moi bien Kane, elle s'était retournée et lui faisait face, je ne te le répéterai pas, elle s'approchait lentement.

Sa voix était basse, grave et intimidante.

-Ne t'avise plus de me donner d'ordres, ni de me parler comme ça, souviens-toi toujours que je suis en mesure de réduire à néant ta misérable existence.

Kane la regardait impassiblement, son visage n'exprimait ni colère, ni peur, juste un vide total et déconcertant. Angel sortit de sa pochette Chanel son Smartphone dernier cri.

-Maintenant je vais appeler mon propre service de sécurité et tripler le nombre de gardes du corps.

Kane silencieux jusque là, annonça avec austérité :

-Tes gardes du corps ne te serviront à rien contre cette menace.

Angel détourna immédiatement les yeux de son cellulaire, plus explosive que jamais, alors, elle sollicita sa respiration ventrale pour se détendre.

-Et pourquoi donc ?

-Car la menace vient de nous. Elle est en nous.

Il regarda tour à tour Jawaad et Angel qui le fixaient comme s'il avait trois têtes.

-Le monde est foutu si nous ne le trouvons pas, et vous ne semblez pas vous en rendre compte. Vous voyez tout ça, Kane s'avança vers le vide, et il déplia ses bras dans un mouvement théâtral en désignant la ville qui s'étendait devant eux. Et bien la triste réalité


est que cela pourrait disparaitre. Le malheureux Pr. Durand n'est pas le premier à périr et la liste ne fera que s'allonger si nous n'agissons pas.

Tous les trois restèrent silencieux. Kane venait de leur révéler implicitement que la population était contaminée par cette menace invisible. Que cherchaient-t-ils si ce n'était pas MC Project ? Pourquoi la harcelaient-t-ils s'ils le possédaient déjà ? C'était illogique, il lui manquait des pièces du puzzle.

Angel était épuisée, psychologiquement, physiquement, ses nuits courtes et la pression qu'elle supportait depuis quelques jours l'avaient abattue. Pourquoi était-t-elle impliquée dans cette mascarade ?

-Qu'attendez-vous de moi ?

Kane accrocha son regard au sien, elle pouvait voir que lui aussi était à bout.

-Je n'en ai pas la moindre idée, je sais juste que tu es la clé de l'énigme.

CONSPIRATIONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant