CONSPIRATION

Chapitre 19

— Bonjour je suis Scarlett Oliver, psychiatre et directrice du Pryder psychiatric Hospital, dit-elle l'air empathique. Et voici un de nos psychologues, Matthew Nadi.

Elle leur somma de les suivre. Ils traversèrent la cour gravillonnée où trônaient quelques bancs par-ci, par-là, rien d'autre, pas même un arbre.

Elle entra immédiatement dans le vif du sujet.

— Pourquoi revenir dix ans après ? Il me semble que l'enquête a été bouclée.

— C'est le cas, commença Kane, mais un élément nouveau nous pousse à rouvrir le dossier.

Kane resta vague et la femme se contenta d'un hochement de tête. Angel profita du silence total pour la questionner.

— Racontez-moi l'histoire de Mickael, tout ce dont vous savez à son sujet.

— Et bien, Mickael King a une histoire très particulière. Il est un malade difficile, et encore le mot est faible. Il est le fils de l'une des plus grandes fortunes de ce pays, Joseph King. Monsieur King était à la tête de l'une des plus grandes fabriques d'armes au monde. Dès qu'il sut que son fils était atteint d'une pathologie psychiatrique grave, il décida de l'envoyer en Europe. Personne ne sut ce qu'il advint de lui une fois là-bas, mais nous avons découvert sur lui des cicatrices indélébiles. De drôles de scarifications qui ressembleraient presque à des symboles.

— Des scarifications, répéta pensivement Angel.

— Oui, je vais vous les montrer en photo. Mickael ne supporte pas que quiconque le touche, il a développé une pathologie psychiatrique proche de la schizophrénie. Il entend des voix, c'est l'une d'entre-elles qui le poussa à assassiner ce pauvre homme il y a dix ans, mais il ne s'en souvient plus à présent. Mickael a tout simplement rayé de sa mémoire les événements douloureux de sa vie.

— Il s'agit d'un mécanisme de protection du cerveau, ni plus, ni moins, termina la doctoresse.

Angel écoutait attentivement. Elle avait toujours éprouvé une fascination malsaine pour les esprits détraqués. L'illusion de l'infinie puissance cérébrale la fascinait. Elle avait passé des soirées entières à lire des bouquins sur le locked-in syndrome – le syndrome d'enfermement qui mure le sujet dans son propre corps – ou sur le fameux serial killer John Wayne Gacy, atteint de trouble de la personnalité multiple. Les cas étaient nombreux et avaient toujours désemparés les populations.

Trois mille ans avant Jésus Christ, on procédait déjà à la trépanation des crânes de malades mentaux pour tenter de les exorciser. Le rituel voulait qu'en ouvrant la boite crânienne, le démon parte. Dans certaines contrées d'Afrique Noire, la tradition est encore aujourd'hui d'attacher les malades en plein soleil jusqu'à ce que les vautours viennent les dévorer. Les délires psychiatriques réveillent les peurs les plus profondes chez les humains, car ils sont incompréhensibles. Comment expliquer à une mère que son fils, étudiant brillant, soit soudainement pris de délires et tue sa femme de vingt-sept coups de couteau.

La machinerie humaine est d'une complexité inouïe, un rien peu la faire dérailler et personne n'en est épargné.

— Mickael est généralement très calme, il ne parle pas mais acquiesce quelques rares fois. Depuis son admission ici, fin deux-mille-cinq, il n'a opposé aucune résistance, se contentant d'obéir. Un comportement singulier pour un patient aussi rongé par la maladie.

Ils traversèrent la cour de l'hôpital. L'autre médecin fit coulisser un badge magnétique dans une fente à droite des doubles portes. A l'inverse de l'extérieur, l'intérieur était flambant neuf, le sol brillait et une odeur de propre s'en dégageait. Des couloirs vides et une enfilade de portes verrouillées. Elles disposaient chacune de mouchards, par lesquels on distinguait des visages émaciés se succéder. Les visages de la folie. Certains, les yeux injectés de sang, d'autres larmoyants et suppliants tandis que les derniers ne percevaient plus autre que leur brume médicamenteuse. Des visages déformés par la colère, ou tout simplement trop shootés aux neuroleptiques pour émettre la moindre expression. Parfois un cri déchirait l'air. Un cri épouvantable qui filait la chair de poule.