Chapitre 16

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Pendant le trajet, Liana lui lista les affaires courantes de l'entreprise. Leurs actions chez Montgran grimpaient en flèche et son conseil l'incitait à en revendre une partie – ils étaient actionnaires majoritaires de la multinationale informatique. L'extraction du pétrole de schiste avançait à grand pas, peut-être même trop car la surproduction avait provoqué une baisse de vingt-cinq pour cent du prix du baril. Les saoudiens tentaient d'asphyxier la part américaine, ils prétendaient d'ailleurs être économiquement assez forts pour résister de nombreuses années à l'effondrement du marché. D'ordinaire, elle aurait pouffé devant ces élucubrations irréalistes, mais ce qui se jouait en ce moment, ainsi que son manque évident d'acuité refreinèrent son envie.

La jeune Rockwell écoutait, les yeux dans le vague, occupée à reconstituer les événements de cette dernière semaine.

Tout avait commencé par l'arrivée inopinée d'Edward Rockwell, son oncle, venu lui annoncer que son ex-copain mort était en fait bel et bien vivant. Puis vint la rencontre le jour suivant avec le ressuscité, qui réclamait les documents d'un projet secret enterré depuis bien des années, et enfin la révélation par Kyler de l'appartenance à ce projet de son paternel.

La lecture de ce dossier sur Jawaad et la balle qui faillit lui perforer le crâne pendant qu'elle consultait...la photo.

Elle écarquilla exagérément les yeux, les lèvres formant un O parfait.

Les sinistres personnages figés sur papier glacé lui réapparurent en mémoire. L'image s'insinua avec langueur dans son esprit, d'une épouvantable nettement, comme si elle l'avait en ce moment même sous les yeux. Elle vit les masques noirs et blancs qui couvraient leurs visages, tous encerclant cette table. Une table des plus banales, en bois massif, où trônait l'impensable. Elle vit les amas de chairs luisantes, les entrailles, telle une bouillie sanguinolente, baignaient dans ce poitrail ouvert. Les cotes brisées transperçaient la peau et soulevaient le buste tels les monts qui naissaient de la collision de plaques tectoniques. Et ses yeux. Ses pupilles dilatées, mais vivantes... Il suppliait silencieusement, sûrement trop faible pour effectuer le moindre mouvement. Alors qu'il était en vie, son corps abominablement mutilé semblait mort. Et tous ces gens, attroupés autour de l'homme tels des vautours, semblaient apprécier le spectacle, se délectant de la lente agonie de leur victime. Leurs yeux vifs, voyeurs, presque pétillants pour certains, fascinés par le Mal. Des monstres.

Angel inspira profondément, elle avait totalement omis cela de sa mémoire, comme si, inconsciemment son esprit avait tenté d'effacer l'image insoutenable.

Liana sentait sa patronne prête à craquer. Son visage semblait livide, vidé de tout son sang. Ses mains étaient prises de spasmes incontrôlables. La secrétaire, catholique pratiquante, saisit le crucifix de son pendentif qu'elle inséra au creux de sa main. Elle avait rejoint les partisans de dieu quelques années auparavant. Presque par hasard d'ailleurs, l'intégralité de sa famille était athée, mais elle avait toujours eu une attirance pour la religion chrétienne. Le jour où elle rencontra Dieu, fut le jour où elle rencontra celui qui deviendrait son mari – Brady n'était pas la réincarnation de Dieu, non, mais il fut celui qui lui fit découvrir la foi infinie envers un être supérieur.

Elle récita une prière silencieuse pour Angel. Au-delà du fait qu'elle l'appréciait pour la paye qu'elle lui versait chaque mois, Liana avait une sorte d'admiration envers sa supérieure. Qu'importait la situation, elle dégageait une aura particulière, un charisme enviable qui la rendait respectable. Mais depuis quelques jours, des choses se passaient, elle le sentait. L'emploi du temps de sa patronne n'était, en temps normal, pas commun, mais actuellement, cela dépassait l'entendement.

La jeune femme continuait de fixer Angel qui lui décrocha finalement un regard quelques minutes avant l'atterrissage. Liana agrippa son harnais si fermement que la jointure de ses doigts devint blanchâtre. Elle avait lu des tas d'articles sur les crashs d'engins volants depuis l'accident d'avion de son père. Savoir que la plupart des accidents d'hélicoptère se déroulaient lors de la phase d'atterrissage, lui faisait craindre les secondes à venir. Heureusement, il n'y eut pas d'accrocs. Ils atterrirent, non pas sur une plateforme au sommet d'un gratte-ciel, mais sur la terre ferme. Un énorme quarte fois quatre Ford entouré par six hommes les attendait. Angel avait finalement quadruplé ses effectifs – les gorilles –, elle espérait faire taire Kane définitivement.

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