Chapitre 2

276 27 29
                                    

Les premiers jours du mois sont particulièrement calmes. Le temps se prête au jeu, alternant des journées fraîches et des journées chaudes. A vrai dire, voilà un moment que les saisons n'existent plus. Je ne serais même pas capable de dire s'il m'est déjà arrivé d'en connaître une. Ma mère me racontait que les hivers étaient neigeux et que les étés, en revanche, laissaient place à des baignades quotidiennes. Les arbres perdaient leurs feuilles en automne et les retrouvaient au printemps, en même temps que certains fruits. Les légumes dépendaient aussi beaucoup de ces changements climatiques. Mes parents avaient un jardin qui leur offrait des plaisirs simples de la nature. Des tomates, des pommes de terre, quelques fraises et des framboises. C'est comme ça que cela fonctionnait avant et il n'y avait rien de plus à faire.

Tout est différent depuis le dérèglement de la planète. Les terres ont été malmenées par les sécheresses, puis inondées par des pluies torrentielles. C'est pourquoi les récoltes sont devenues, pour la plupart, artificielles.

Je ne pense pas que la surpopulation soit la cause de notre condition de vie. Tout ça n'est que le résultat d'attitudes totalement désintéressées. Pourtant, cela nous a conduit à un point de non retour, à une étape décisive de notre époque. Si nous voulons vivre, il faut désormais mériter notre place. Je suis persuadé qu'il peut exister un moyen différent de celui-ci. Un moyen beaucoup plus réfléchi.

Je dois garder mes pensées bien secrètes, car tout ça pourrait me coûter cher. Je prie parfois pour que personne ne sonde mon esprit, car mes idées sont le plus souvent en contradiction avec celles de la société actuelle. La loi du plus fort, nous la subissons chaque jour. Comment faire ouvrir les yeux au monde si le droit à l'expression nous est retiré ? Les seules personnes qui ont réussi à se faire entendre ont disparu avant même qu'une enveloppe ne leur soit adressée.

Je me suis alors demandé si nous étions suivis ou mis sur écoute. Après tout, bien que la condition humaine se soit dégradée, la technologie a fait un sacré bond en avant. Il existe certains appareils dont je ne saurais même pas me servir. Pourquoi travailler sur ce genre d'intelligence secondaire au lieu de restituer un semblant de vie correcte ? Je doute d'en avoir un jour la réponse.

Janvier est un mois où l'institut éducatif devient instable. Certains manquent à l'appel, en raison de la réception d'une enveloppe ou simplement pour rester près de leurs proches. Pourtant, nous savons qu'il est important d'avoir un bon dossier scolaire. Les chances d'être choisi par le Destin s'atténuent, et ce n'est pas négligeable. C'est pourquoi je veille à être présent chaque jour, même si l'angoisse me tenaille l'estomac. Je suis loin de chez moi, loin de ma mère, et je ne sais pas ce qu'elle a pu trouver le matin même dans la boîte aux lettres. Je dois donc patienter, être attentif et me tenir prêt à toute éventualité. Si quelqu'un vient me chercher, c'est que ce que je redoute le plus s'est produit. Si personne ne prend contact avec moi, je passe la journée un peu plus serein.

- A quoi penses-tu ? Me demande soudain Hope.

Hope est l'une des premières de la classe. Son père a une place importante dans l'une des industries d'alimentation de la ville, ce qui fait d'elle et de sa famille les moins exposées pendant la Distribution. Malgré un caractère plutôt sociable, beaucoup de personnes évitent de lui adresser la parole. Elle reflète l'image parfaite de l'injustice et du privilège. Doit-on lui en vouloir ? Je ne peux que lui souhaiter de conserver cette place aussi longtemps que possible. Après tout, il faut bien que des personnes comme elle perdurent dans la société. Studieuse, elle est promise à un avenir brillant. Une future avocate ou médecin, sûrement.

- Rien d'important, je lui réponds.

- Si tu veux de l'aide pour les examens à venir, tu peux compter sur moi, me suggère-t-elle.

Destin TurquoiseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant