Chapitre 20

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Cela doit faire plus d'une heure que je roule dans l'obscurité. La route est rectiligne et plutôt étroite. J'évite de frôler les parois latérales et maintiens une allure constante.

- Dans combien de temps aurons-nous dépassé les frontières ? Questionné-je.

- C'est peut-être déjà fait, répond Hope.

- Il ne reste plus qu'à atteindre la sortie avant que le réservoir d'essence ne se vide. C'est une vieille voiture qui consomme rapidement, justifié-je.

- Il se peut que nous rejoignions un autre bâtiment, s'exprime Greg, comme celui que nous venons de quitter.

- Je doute que ce tunnel ne desserve qu'un endroit, dit-elle, ils n'auraient pas pris la peine de le concevoir. Son usage doit être varié.

Je cligne des yeux pour que ma vision soit plus nette et aperçois une légère lumière au loin.

- Qu'est-ce que cela peut être ?

Hope se concentre et regarde à son tour.

- On dirait une signalisation... un rectangle de signalisation. Le chemin doit se séparer en plusieurs voies.

Elle a raison. J'arrive rapidement à hauteur de la lumière artificielle et distingue deux flèches éblouissantes. L'une est rouge et indique la gauche, l'autre est verte et indique le sens opposé.

- Le choix est cornélien, ironise le garçon.

La jeune fille passe nerveusement la main dans ses cheveux.

- Je pencherais pour le côté vert, reprend-il.

- Cela doit avoir un lien avec le code que tu as tapé, dis-je, la lumière rouge est devenue verte, comme cette flèche.

- Cela indique aux transporteurs le chemin à suivre, lance-t-elle. Si nous suivons la flèche verte, nous allons vers une destination pré-conçue pour les transports de marchandises. Cela doit nous mener vers une usine ou un entrepôt. Nous risquons, par la même occasion, d'y être attendus par des employés. Le code que j'ai tapé a dû activer un système de communication entre le point de départ et celui d'arrivée.

- Nous ferions mieux de suivre la rouge, je conclus.

- C'est le meilleur choix. Personne ne sera averti de notre arrivée là-bas.

C'est avec difficulté que je m'engage sur la route de gauche, car mon subconscient est naturellement attiré par le vert. Nous savons bien quelle couleur est synonyme de danger et laquelle ne l'est pas. Après tout, mieux vaut du rouge et du vert, plutôt que du turquoise.

Je reprends la route et jette un coup d'œil sur l'aiguille d'essence. Il reste plus de la moitié du carburant et cela me satisfait.

Je roule avec précaution pour éviter d'écraser certains rongeurs que je vois parfois filer sous les phares de la voiture. Ils me surprennent à chaque fois et font bondir Hope de son siège.

- Vivement qu'on sorte de là, s'écrie-t-elle.

Son vœu va devenir réalité. Une arche de lumière blanche se dessine, petit à petit, au milieu de la pénombre. Je roule en fixant ce halo lumineux et souris en m'y approchant.

- La sortie est toute proche, se réjouit Greg.

De grands lampadaires produisent un rayon aveuglant et éclairent le tunnel sur une dizaine de mètres. Je ralentis mais continue d'avancer.

- Cela donne sur l'extérieur ! Se réjouit la jeune fille.

Nous sommes à présent sur une route goudronnée et entourée de végétations variées. Il n'y a plus aucun réverbère visible, mais je distingue des arbres feuillus et condensés. Il n'y a pas d'orage là où nous nous trouvons.

- Nous avons réussi ! annoncé-je.

Je me mets à accélérer et profite pleinement de ce sentiment de liberté. Une euphorie générale se répand dans la voiture.

Plus j'avance et moins il y a de chances pour que nous revenions sur nos pas. Il serait difficile de rebrousser chemin à présent. Je pense à Beth et à la maison que je laisse derrière moi. Je me détache du nid dans lequel j'ai grandi et déploie mes ailes pour affronter la dure réalité. Je roule pendant plusieurs heures avant de faire une première pause. Nous n'avons croisé personne depuis la sortie du passage souterrain. Il fait toujours nuit et je me gare sur la chaussée déserte.

- Il n'y a pas foule, constate Greg.

- C'est un de nos avantages, répond la jeune fille, ce sont sûrement des voies secondaires empruntées pendant l'Exemption. Les frontières continuent leur travail tant que la Distribution n'est pas terminée.

- Que dirons-nous si nous croisons quelqu'un ? Interrogé-je.

- Nous improviserons...

J'ouvre le coffre et sors de quoi grignoter. La route me paraît longue et je préfère prendre des forces avant de m'y relancer.

Je laisse les feux de la voiture allumés afin que nous ayons un coin chaleureux pour nous reposer. Je m'assois près du capot et mes amis font de même. Je touche le sol de la main et réalise que je n'ai jamais mis les pieds ici. Si quelqu'un nous attrape, j'aurais au moins eu la satisfaction d'avoir échappé à leur emprisonnement de courtoisie. Nous étions entre des murs infranchissables et aucune excuse au monde ne pourra les justifier, ni eux, ni les Turquoises.

- Je dois aller au petit coin, lance Greg.

Il se lève et part se cacher derrière un amas de chênes.

- Quelles sont ses motivations ? Me demande Hope, pour désirer autant faire tomber le système.

- Je ne sais pas... Je l'ai toujours connu comme ça. Je doute qu'il ait de réels objectifs. Il doit faire partie de ces héros qui luttent contre l'injustice, sans contrepartie.

- J'ai peur, me confie-t-elle, même si je pense que ce que nous sommes en train de faire en vaut le coup.

- La peur fait partie de notre existence, dis-je, il faut savoir s'en servir à bon escient.

Elle mange un morceau de sandwich puis s'essuie la bouche avant de reprendre la parole.

- Je suis désolée pour ta mère...

Elle me sourit avec compassion et je lui rends la pareille.

Des craquements de branches se font entendre à proximité de l'endroit où Greg est parti. Les phares éclairent sa silhouette instable pendant qu'il court pour nous rejoindre. Il est débraillé et semble perturbé.

- Il faut qu'on parte ! Murmure-t-il, il y a quelqu'un là-bas !

- Calme-toi, dis-je, ce n'est sûrement qu'un animal. Il fait nuit et tu es fatigué.

- J'ai vu quelqu'un... je l'ai entendu !

- Il vaut mieux s'en aller, renvoie Hope, convaincue.

Le jeune homme nous transmet une angoisse indéfinissable. Tous mes sens sont aux aguets et je guette le moindre mouvement suspect provenant de la forêt. Toute cette flore qui borde la route doit être remplie de divers animaux.

Mes camarades reprennent place dans la voiture et je fais de même. Je jette un dernier coup d'œil vers les bois, mais ne perçois qu'une fine brise nocturne qui s'engouffre par la fenêtre et me glace l'épine dorsale.


Destin TurquoiseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant