Chapitre 24

79 12 5
                                    

J'attends que la mort dépose sur mes lèvres un long baiser douloureux. Pourtant, rien ne se passe.

Je ne peux plus soutenir leur présence et cache mon visage comme un bambin. Je ne vois plus rien, je suis dans mon monde. Je m'enferme dans une protection psychologiquement infaillible, le temps de réfléchir à la situation. Il n'y a aucune issue sans danger. Puis-je risquer ma vie et me battre jusqu'à la dernière minute ? Je peux essayer de les déstabiliser en sortant brusquement de ma cachette et en reprenant ma course éreintante. Je me perds dans mes réflexions de dernier recours et décide de jouer le tout pour le tout. Je ne peux pas mourir, pas ici.

Je pousse violemment les portes du placard et bouscule d'un coup de main tout corps m'empêchant de poursuivre ma course.

- Aven ! Calme-toi ! S'écrie Greg, trébuchant sur le sol.

- Je suis surpris de l'entendre. Que fait-il ici ? Hope m'attrape la main.

- Ils sont partis, c'est fini Aven.

- Partis ? J'étais coincé, piégé comme un rat... Pourquoi sont-ils partis ? crié-je.

Voilà que je me plains presque d'avoir la vie sauve. Quelque chose les a-t-ils fait fuir ? Suis-je honteux d'avoir autant paniqué ?

- Où étiez-vous ?

- Dans la salle de bain, répond le jeune homme avec déception, mais il semble que tu les aies tous attirés. Ils ne se sont pas attardés sur nous... une chance.

- Nous les avons entendus repartir après quelques minutes, reprend Hope, à croire que tu étais introuvable.

Le temps m'a paru une éternité mais cela n'a pas duré aussi longtemps que je pensais.

- Qu'est-ce que c'est ? S'affole Greg en apercevant deux pieds qui dépassent de la penderie.

Un amoncellement de chiffons et d'habits cache le reste du défunt. Je referme les portes afin de rayer cette image de ma mémoire. C'est un enfant, de sexe non identifié. Son corps, en décomposition, ne connaîtra jamais la paix éternelle. Je fais une prière sincère pour son âme et reprends le cours de la discussion. Mes amis baissent la tête et Greg fait le signe de croix.

- Est-ce que vous êtes blessés ? Je demande.

Ils m'assurent que tout va bien.

- Nous ferions mieux de rester ici pour la nuit, propose mon amie. Nous repartirons demain, quand il fera jour.

- Tu as pu voir de quel animal il s'agissait ? Lance le garçon.

- Animal ? Répété-je.

Quels animaux seraient capables de grimper des escaliers pour nous attraper ? Je ne veux pas les effrayer et ne leur révèle pas la vérité.

- Non... Je n'ai rien vu.

- Il doit y avoir un déséquilibre énorme dans la chaîne alimentaire... conclut la jeune fille. Un maillon manquant et plus rien ne va.

Ils ne semblent pas remarquer que j'étais le seul à être poursuivi une fois à l'étage. Ils ne réalisent donc pas le danger auquel nous étions réellement exposés.

Il m'est impossible de trouver le sommeil. Je tourne et me retourne sur ce qui devait être l'ancien lit parental. Nous sommes tous les trois dans la même pièce afin de prévenir plus rapidement le danger. Je repense au corps du gamin à côté duquel j'étais dissimulé et me demande s'il a souffert. Attendait-il ses parents ou est-il décédé avant que le village ne soit plus que l'ombre de lui-même ? Comment se fait-il qu'il soit resté là-dedans ? Y en a-t-il d'autres ? Dans chaque maison ? Je frissonne et grelotte.

Le soleil se lève et je suis impatient de quitter cette maison.

- Nous prendrons le déjeuner dans la voiture ! Dis-je en sautant du lit.

Hope court machinalement dans la pièce où elle était enfermée hier soir avec Greg et essaye de tirer le peu d'eau qu'il reste dans les canalisations. Je l'entends soudain crier, d'une voix de crécelle.

- L'eau fonctionne toujours ! L'eau fonctionne toujours !

Je souffle lorsque je réalise que notre départ n'est plus imminent.

- Rappelle-moi pourquoi nous avons choisi d'emmener une fille avec nous ? Rigole mon ami.

- Je vous entends ! S'écrie-t-elle au loin.

Sa douche me paraît si longue que je regrette de ne pas avoir été dévoré vivant la veille. Je me laisse aussi tenter par un bain bien que l'eau soit très froide.

C'est dans ces maisons que doivent séjourner les transporteurs. Les pompes à essence fonctionne toujours et l'eau courante aussi. Cette ville cache-t-elle d'autres ressources ?

La maison paraît moins sinistre maintenant que les rayons du soleil la noient de toute part. La décoration laisse à désirer et l'humidité a fissuré la plupart des meubles en teck. Le parquet gondole et le plafond résiste difficilement à la moisissure. De nombreux cadres, de couleur parme, sont étalés sur les murs et je distingue une photo de famille dont je ne préfère pas m'approcher.

Je m'engage dans les escaliers et constate que les dégâts causés par l'assaut d'hier sont conséquents. Un trou béant remplace la porte d'entrée et un courant d'air froid circule à travers les fenêtres brisées. Mes camarades me rejoignent et nous sommes enfin prêts à partir.

Je m'efforce, par respect pour ceux qui vivaient ici auparavant, de ranger le rez-de-chaussée. Je balaye d'un coup de pied les morceaux de verre les plus épais et redresse la commode contre laquelle nous étions abrités. Ses tiroirs ne tiennent plus et toute la paperasse se retrouve par terre. Hope vient m'aider à les remettre en ordre.

- Regarde ! Dit-elle.

Elle me tend une carte magnétique avant de m'expliquer sa possible fonction.

- Cela devrait nous permettre de faire le plein à la station-essence ! Les transporteurs doivent en laisser une de côté, au cas où...

- S'ils ont pris leurs aises dans ces habitations, peut-être que certains dossiers s'y trouvent aussi !

Je fouille dans le tas de papiers mais ne trouve que des factures, des relevés de comptes et des lettres administratives. Cette carte est la seule chose qui semble appartenir au Destin. Quelle coïncidence d'avoir pu mettre la main dessus.

Je ne suis pas surpris lorsque je découvre que ma voiture est bien amochée. La carrosserie est cabossée et des rayures se dessinent de part et d'autre. J'ai un pincement au cœur mais ne souhaite qu'une chose... qu'elle démarre encore. Je mets le contact et prends plaisir à entendre le moteur gronder.

- Nous devrons rouler jusqu'à la prochaine ville, dis-je, nous ne pouvons pas passer la nuit dehors avec ce qui rôde dans les environs.

Nous nous mettons d'accord sur un principe de relais afin de rouler de jour ou de nuit, sans nous arrêter.

La carte fonctionne correctement et ne demande pas de code particulier. Je la range précieusement dans ma poche de pantalon et nous reprenons la route. Nous laissons derrière nous, comme beaucoup ont dû le faire autrefois, ce village partiellement abandonné.

Destin TurquoiseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant