Chapitre 21

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Le lever du soleil est magnifique, d'autant plus qu'il se trouve dans mon axe de conduite. Il éclaire la route, la cime des arbres et le ciel nuageux.

Hope sort la tête du véhicule et se met à crier de joie, puis rigole de bon cœur. Le vent souffle sur son visage et ses cheveux, châtains clairs, dansent harmonieusement. Nous sommes seuls sur ces centaines de kilomètres de terre et de forêt. J'aimerais m'arrêter pour courir à n'en plus finir et m'allonger sur le sol, afin d'admirer le même ciel que je voyais depuis ma chambre.

- Nous pouvons rouler encore combien de temps ? Me demande Hope.

- Quelques heures...

- Et ensuite ? Reprend Greg, nous devrons marcher ?

- Non, renvoie-t-elle, il y a un tapis magique dans le coffre qui nous permettra d'atteindre notre destination.

Je vois le visage blasé du jeune homme, dans le rétroviseur, et souris. Il est évident que nous ne pourrons pas rouler indéfiniment.

Les environs semblent si déserts que l'intervention de Greg m'alerte.

- Là-bas ! S'écrie-t-il.

Il montre du doigt un point dans l'horizon que je n'arrive pas encore à distinguer. Je me concentre et arrive à percevoir un panneau en bois vieilli. Derrière lui se présente un panorama de futaie. Je me rapproche mais ne peut lire ce qui y est écrit.

- Il doit y avoir une aire de repos ou un endroit pour faire le plein ! Dit Hope. C'est sûrement ici que les convois de marchandises s'arrêtent avant de repartir.

- Un village ? Questionne Greg.

- C'est ce que nous allons voir !

Je dépasse l'écriteau puis m'engouffre sur une route chaotique et surplombée d'arbres. Des bosses de terre me ralentissent et nous secouent. Un virage de fortune se dessine à l'intérieur de la forêt et je m'y engage. Nous roulons quelques minutes à l'intérieur des bois avant d'atteindre une nouvelle route poussiéreuse.

Un village s'élève sous mes yeux et j'avance au milieu de longues rangées de maisons et de commerces. Les bâtisses, en pierres et en bois, semblent avoir du mal à rester debout. Des façades sont craquelées et certaines fenêtres sont brisées.

- Nous n'aurons pas de comité d'accueil, constate le garçon.

- C'est un village de transition, dit Hope, il ne doit plus être habité depuis un moment. Les transporteurs font le plein puis repartent.

- Comment peuvent-ils trouver de l'essence dans un village abandonné ? Questionné-je.

- La station service doit avoir de bonnes réserves... Quelqu'un doit venir l'entretenir couramment.

Il m'est facile de trouver l'endroit désiré, car le village n'est pas vraiment grand. Deux pompes à essence se tiennent devant un magasin délabré et miteux. Je me gare près de l'une d'elles et descends me dégourdir les jambes.

- Et mince ! S'écrie la jeune fille, il y a un système de sécurité qui empêche quiconque de se servir en carburant.

- Encore un code ? Désespéré-je.

- Non... il y a un emplacement prévu pour y introduire une carte de déverrouillage.

- Un carte de déverrouillage ? Répété-je, dérouté, ils ont pensé à tout ! Nous sommes coincés !

- Calme-toi Aven ! Réplique-t-elle, nous allons trouver une solution.

Je me rapproche et prends connaissance des conditions requises afin d'utiliser les pompes.

- La route risque d'être longue et périlleuse, à pied... dis-je.

- La voiture nous aurait trahis à un moment ou à un autre.

Je cogne nerveusement contre l'imposant réservoir et retourne dans la voiture. Notre plan n'est pas bon, c'est une certitude. J'aurais dû réfléchir à d'autres options plus élaborées.

Prendre la fuite est ridicule car ces personnes sont bien trop fortes. Elles ont un train d'avance... voire deux. Comment gravir cette montagne qui nous sépare nous, pauvres marionnettes, de ceux qui tirent les ficelles derrière leurs bureaux en bois massif.

Me voilà au milieu de nulle part, entouré de vieilles maisons et accompagné de mes camarades incrédules. Comment ai-je pu penser pouvoir atteindre le Destin de cette façon ?

- On va rester là pour la nuit, annonce Hope, il faut que tu te reposes.

- On peut dormir près de la voiture, propose Greg, nous pourrons garder un œil sur les alentours.

- C'est ce qu'il y a de mieux à faire, dis-je.

J'éloigne la voiture de la station et me gare derrière une vieille bâtisse rocailleuse. Cela nous permet de rester à l'abri de visiteurs incongrus et la vue sur la forêt lointaine me rassure.

Nous installons quelques couvertures sur le sol poudreux et mangeons. Le ciel se voile et le soleil se couche doucement, mais sûrement. Il crée des ombres angoissantes sur les arbres à l'horizon, si bien qu'ils semblent se tordre et s'entremêler.

- Aucun de vous ne connaît une histoire effrayante ? Questionne Hope.

Sa question ne tombe pas dans l'oreille d'un sourd et Greg s'empresse d'y répondre.

- J'en ai peut-être quelques-unes en stock, s'amuse-t-il.

- Ne viens pas me sauter sur le dos si tu as peur ! Répliqué-je.

La jeune fille m'envoie une tape sur l'épaule et sourit avec joie. Sa dentition est parfaite et ses lèvres sont incroyablement symétriques. Ses yeux, d'un bleu divin, s'illuminent sous les phares de la voiture et ses cheveux se collent sur sa bouche. Elle les retire puis finit sa bouchée.

- C'était il y a une dizaine d'années, lance Greg, lorsque des meurtres d'une violence inimaginable s'enchaînèrent. Les corps étaient découpés, congelés, puis empaquetés afin d'être livrés au Destin. Les organes de qualité étaient conservés mais le reste était consumé par les flammes de plusieurs fournaises. Personne ne pouvait mettre la main sur le coupable... car il s'agissait d'un enfant. Ce gamin prenait plaisir à tuer. Il emmenait ses victimes dans des endroits reculés avant de leur affliger le coup fatal. Il était doté d'une force remarquable pour son âge et aucune de ses victimes ne pouvait lui échapper. Un jour, alors qu'il se présentait à l'école, il réalisa que quelque chose n'allait plus. Il voulait jouer, encore plus... toujours plus. Il mit en place une stratégie afin de réunir ses proies au même endroit, seules. Une fois à cet endroit, il pourrait en faire ce qu'il veut. Il court plus vite, a plus de force qu'elles et prévoit de les torturer, jusqu'à ce que la mort soit leur dernier désir.

Mon cœur palpite au son de sa voix.

- Ce garçon s'appelait Grégoire... mais n'appréciait pas ce nom. Il préférait qu'on l'appelle Greg...

Ma respiration se saccade et je recule. Le jeune homme sort un couteau de sa poche et se jette entre Hope et moi. Une tension incontrôlable me pétrifie sur place. Je m'apprête à répliquer, de n'importe quelle manière qu'il soit.

- Si vous voyiez vos têtes ! Rigole-t-il, à pleins poumons.

Il se roule sur lui-même et rit aux éclats.

- Abruti ! Glisse Hope tout en le secouant.

Je souffle, soulagé. « Ce n'était qu'une histoire » pensé-je. Une histoire qui, une fois de plus, était étrangement convaincante.

Destin TurquoiseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant